lundi 18 septembre 2017

Le feu

Résultat de recherche d'images pour "crémation"Le feu. Je ne l'ai pas. Né dans un ventre glacé par les fièvres, je ne l'ai jamais eu. Je n'en veux pas non plus. Ma raison s'y oppose depuis toujours. Trop de symboles surexposés. Trop de métaphores mal pétries. Le feu de l'amour tue aussi sûrement que le feu de la guerre puisque, à la fin du compte, on est refroidi. Ce n'est pas que je me détourne des émotions fortes, des sentiments vibrants, voire de certains dérèglements des sens. Mais le feu, malgré ses bienfaits ancillaires,  le chaud et le cuit, me fait fuir comme une bête sauvage aux premières heures de la vie. Les ombres qui hantent sa lumière, fût-elle celle d'un lumignon, sont des serpents. Quand on les aperçoit, il est déjà trop tard. L'effroi crépite dans les yeux. La peau se met à grésiller. Les veines et les artères gonflent avant d'éclater. Des lames découpent les muscles. Comment échapper à l'équarrissage ? Où trouver un souffle assez puissant pour éteindre ce qui étreint ? Dans quelle mémoire ? Dans quelle volonté ? Je n'ai ni l'une ni l'autre. Ma carcasse est vide comme était vide le ventre de ma mère. Finirai-je, en un cauchemar baconien, suspendu à un croc de boucher ? Reluqué par d'autres corps en peine ? Ou bien, enfouis dans la glaise, mes viscères auront-ils à subir de lentes dévorations ? Ma raison encore s'insurge. Mon instinct se rebelle. Une seule solution s'impose. Le feu. Celui-là même dont on s’est tenu éloigné pendant la vie. Effacer tout ce qui a entravé. Dans la chair comme dans l'esprit. Puis disperser les poussières irréductibles. L'air se chargera d'achever le travail de disparition. Retourner avec lui dans l'invisible.

image pompesfunebrestoulouse.com

J'ai écrit ce texte il y a quelques années pour une revue dont c'était la thématique.

jeudi 14 septembre 2017

Coming out

Coming out / Brève ordinaire
Résultat de recherche d'images pour "pénis" Toute sa vie, Albert avait eu des problèmes pour faire l'amour. A quatre-vingts ans, après avoir bu un litre de vin, il se coupa le sexe et le fit cuire. Puis le donna à son chien qui s'en régala.
Coming out / Brève populaire
Toute sa vie, l'Albert avait eu des emmerdes pour s'envoyer en l'air. A 80 balais, après avoir torché une boutanche de rouquin, il se coupa la bite et la fit cuire. Pis la donna à son corniaud qui la bouffa.
Coming out / Brève populaire fleurie
Toute sa vie, ce demi-sel d'Albert s'était fait du tracsir pour son flageolet qui n'avait rien d'une vipère broussailleuse dans ses fringues de coulisse. A 80 bougies soufflées sur une bûche de chez Aldi, après s'être rincé la dalle d'une betterave de beaujolpince, il se coupa le petit chauve à col roulé, le mitonna avec des oignons de derrière les fagots et le jeta à son courtaud de Médor qui s'en fit les boyaux comme des manches de ministre.
Coming out / Brève classique
Pendant toute son existence, sir Albert avait rencontré des difficultés lors de ses accouplements. A quatre-vingts ans, après avoir dégusté un litre de vin de Bordeaux, il se trancha le pénis et le mit à rissoler. Puis il l'offrit à son chien qui s'en gobergea.
Coming out / Brève classique premium
Toute son existence durant, le comte Albert avait eu un parcours amoureux fort difficultueux. Parvenu à l'âge vénérable de quatre-vingts printemps, après avoir succombé à l'envoûtement d'un pomerol du meilleur aloi, il trancha dans le vif son membre viril et l'apprêta sur un brasero en céramique de Saxe hérité du maréchal éponyme. Puis il en fit l'offrande à son lévrier afghan qui le dévora promptement.


Coming out / Brève néo french
Toute sa life, Alberton avait badtripé grave sur l'évaluation de ses love performances. Sénior ayant dépassé la DLC, il vida une boîte de vin red bull achetée dans une winery down town, trancha son sexe pas frendly compatible en mode sushi et le donna au chien qui le mangea ASAP. Un geek lui dit qu'il aurait dû poster un selfie sur fb.
Coming out / Brève à la Perec
Durant tout son sort, Albrt avait connu moult tracas pour son vit trop mou. A dix fois huit ans, un vin bourguignon à l'appui, il coupa dans la chair qui bandait mal puis la cuisit sur un gaz ronflant plus qu'un volcan. Alors, il l'offrit à son cabot gourmand qui l'avala d'un coup.
Coming out / Brève à la Restif
Tout au long de sa destinée, le sieur Albert s'était trouvé fort marri d'être tant et souvent escouillé au point de trousser les grisettes à la hâte comme un fieffé saute-ruisseaux. Rendu à l'âge où le maréchal de Richelieu faisait encore, lui, dûment sa cour dans les bourdeaux, et s'étant vivifié les sangs par quelque vin d'Arbois, il eut le cran de se daguer l'appendice d'un geste prompt. L'ayant fait, il le cuisina au verjus et le donna à son épagneul qui montra force appétence.
Coming out / Brève à la Duras phase terminale
Albert L. avait toujours souffert. De son sexe sans visage. Forcément sans visage. Ne pouvant pas. A 80 ans, il but un vin frais de Tarquinia. S'amputa de son manque. De ce qui avait toujours manqué. D'aussi loin qu'il s'en souvenait il avait toujours eu ce manque. Il le cuisina sur un feu de bois. Dans son jardin face à la mer. Puis le donna au chien blanc qui courait sur le rivage.
Coming out / Brève à la S.M.S

Tjs, Al avai u pb sex. A 80 an, il bu vin, coupa bite, la cuisina, la fila au cleb ki la manja ASAP. 

image affairesdegars.com

(Je me suis amusé à écrire ça pour la revue Métèque et son numéro Coming out. Ces brèves n'ont pas été retenues mais je les trouve rigolotes. Voilà.)

Rien n'est encore là

Résultat de recherche d'images pour "peau"Rien n'est encore là. Pas même la question de ce qui pourrait advenir. On continue le travail entrepris dans la langueur du jour. Au jardin ou sur la page, c'est pareil. Une affaire de sillons à traverser. Avec des ombres et des lumières qu'on ne force plus depuis longtemps. Un chat passe au loin. Une rumeur gémit le long d'un mur. Tenir le chat et la rumeur au fil de l'ennui. Inventer pour ne pas dormir un menu peuple d'insectes dans la terre qu'il faudrait retourner. Griffonner sur la page des signes auxquels on renonce déjà. Le poème est rétif aujourd'hui comme hier. Nous portons en nous trop de solitude pour qu'il vienne.
Puis.
Quelque chose.
On le sent sur la peau. Une pression à peine. Dans une lenteur qui réussit encore à nous surprendre. L'impression que cela s'étend, pourrait faire tache si nous avions la pleine conscience du corps engourdi. On suspend les gestes du travail. On cherche à écouter sans savoir où ni comment. On pose des yeux maladroits sur le morceau de peau qui a frémi. On ne comprend pas. Le chat, peut-être, saurait. En sa simplicité de chat. Le mur même, en fin connaisseur des limites, ferait mieux que nous le partage du dedans et du dehors.
Mais cela déjà s'en va.
Reste un petit bout de peau semblable à tous les autres petits bouts de peau. A-t-il seulement rougi ? Un peu de sueur en a-t-il ralenti un moment la respiration ? Ou est-ce la mort en nous qui a tressailli ?

Pour qu'on ne l'oublie pas.

(J'ai retrouvé ce texticule. Je ne sais plus quand je l'ai écrit ni pourquoi. Un bout de peau. Un copeau. Voilà ce que c'est. Peu.)

dimanche 10 septembre 2017

Le voilà qui pense

Résultat de recherche d'images pour "bébés"J’ai deux ans et demi. Ma soeur se moque de moi quand je mets mon doigt sur mes lèvres. Tiens, le voilà qui pense. Evidemment, ça ne risque pas de lui arriver. Elle aura bientôt dix-sept ans. Ma mère dit qu’on n’est pas sérieux à cet âge-là. Elle l’a lu dans un magazine pour les vieux. Si j’avais les mots, je lui dirais que c’est pareil à quarante et à soixante-dix. Les pensées de ma mère ne vont jamais plus loin que le bout de son nez. Quant à celles de ma mémé, elles ne sortent même pas de sa tête. Elles marinent sous son crâne et sentent mauvais comme ses dessous de bras qu’elle refuse d’épiler.
Si je suis enclin à penser et à mettre mon doigt sur mes lèvres, je le dois à mon père. C’est un rêveur. Quand il rentre de l’usine, il se sert un grand verre de Pernod, s’assoit à côté de moi sur le canapé en poussant un long soupir, me demande si ça va comme je veux la santé et s’abîme dans ses rêves autant que dans son verre.
Les rêveurs pensent plus que les autres. Ils ont des dizaines de lèvres et des dizaines de doigts à mettre dessus. Parce qu’ils ont des dizaines de corps et des dizaines d’esprits. Des dizaines d’ailleurs. Ma mère en fait le reproche à mon père : T’es toujours ailleurs. Dans le ciel. C’est trop loin pour moi. Mon père hausse les épaules, bougonne, se sert un autre Pernod et retourne à ses songes.
Moi aussi je vais souvent dans le ciel. Je lève les yeux, je mets mon doigt sur mes lèvres et c’est comme un ascenseur ultra rapide. Je suis mieux là-haut qu’en bas. Beaucoup mieux. En bas, ça sent les dessous de bras de mémé, le parfum à la pomme de ma sœur et le sang de ma mère une fois par mois.
Quand je suis en haut et que je regarde en bas, ça me fait d’autant plus penser. Ce n’est pas toujours agréable. Je regarde et je pense aux chiures de mouches sur la table dans la cuisine. Je regarde et je pense au chien de la maison qui frotte son cul pelé contre les murs. Je regarde et je pense aux jambes de mémé. Toutes violettes, prêtes à éclater.
Alors, le plus souvent, je ne regarde rien et je ne pense à rien. J’en suis tellement heureux que je mets deux doigts sur mes lèvres. Regarder rien. Penser rien. Seulement flotter dans le ciel et rêver. Les nuages sont plus doux que les draps de mon lit. Ils dessinent des montagnes et des vallées, sculptent les visages des personnes que je choisis pour accompagner mes rêves. De beaux visages. De belles persones.

C’est là que je voudrais rester. Avec elles. Quand son heure sera venue, je proposerai à mon père de me rejoindre. Mais je lui demanderai de laisser en bas sa bouteille de Pernod. Je déteste les mauvaises odeurs.

Les phasmes


Résultat de recherche d'images pour "phasmes"Vous avez déjà vu des phasmes ? Non ? Il est vrai qu’on n’en rencontre pas tous les quatre matins aux quatre coins des rues. Les phasmes sont des insectes de l’ordre des néoptères qui ressemblent à des brindilles parfois dotées d’épines. Ils restent immobiles pendant des heures. Ils attendent.
Nous deux, nous ne sommes pas des phasmes. Nous sommes une œuvre d’art. On nous admire partout. En ce moment, dans une galerie parisienne. Le mois dernier à Londres. Le mois prochain à Prague. Nous voyageons beaucoup. En train, en avion. Une fois, même, sur le porte-bagages d’une bicyclette. C’est épuisant. Nous préférons rester tranquilles dans le salon d’Anna, notre créatrice. A côté du vivarium où elle élève des phasmes. Vous comprenez ? Le lien est évident, n’est-ce pas. Anna adore les néoptères au point de faire des sculptures qui leur ressemblent et de les intituler « les phasmes ». Un peu de menu bois, quelques rameaux ligneux et un anneau de fer en guise de ligature. Anna apporte un soin très scrupuleux à cette ligature qui ne doit être ni trop lâche ni trop serrée. C’est une question d’énergie. De circulation de l’énergie. De tempo de l’énergie.
Nous ne comprenons rien aux paroles d’Anna mais sa joie nous ravit quand elle estime avoir réussi. Elle met sur son vieil électrophone un vieux disque de Chet Baker et danse en fumant de longues cigarettes. Les phasmes dansent aussi dans le vivarium. C’est peut-être cela qu’ils attendent. Pouvoir danser et tromper l’ennui. La vie des phasmes n’est pas si réjouissante.

La nôtre, même si les voyages nous fatiguent, même si nous sommes à l’étroit dans notre cadre en aluminium, est plus divertissante. Nous voyons toutes sortes de gens. Nous entendons toutes sortes de langues. Mais nous n’aimons pas qu’on nous touche. Les visiteurs ne sont pas toujours propres. Dans ce cas, nous faisons comme les phasmes. Nous nous fondons dans le décor. Nous passons inaperçus. Et nous attendons la fermeture de la galerie. Nous pouvons attendre bien plus longtemps que les phasmes. Et sans nous ennuyer. Quand les lumières s’éteignent, nous tenons des conciliabules. En chuchotant pour ne pas déranger les ombres. Nous parlons de la vie en général et de la vie en particulier. Nous nous demandons si le général et le particulier savent s’accommoder des ironies du monde. Nous parlons d’Anna aussi. Elle n’est pas toujours bien dans sa tête. Elle a tendance à forcer sur la bouteille. Mais nous ignorons comment l’aider. D’autant que nous devons penser à notre avenir. Qu’adviendra-t-il de nous quand elle mourra ? Si un musée nous achète, nous craignons de vivre la plupart du temps dans une pièce borgne en espérant une éventuelle exposition. L’idéal serait qu’une collectionneuse s’éprenne de nous. Une belle dame brune aux yeux de feu qui nous inventerait autrement. Nous ne serions plus des néoptères dans un cadre. Nous aurions la légèreté du fétu ondulant sous l’azur. Des frondaisons nous offriraient des oiseaux volubiles, la paix des jardins alanguis, le trotte-menu des jeunes amoureuses. On nous rencontrerait tous les quatre matins, aux quatre coins des rues. L’éternité nous irait bien. Pour danser.

vendredi 25 août 2017

Frédérique Germanaud, Courir à l'aube

Résultat de recherche d'images pour "frédérique germanaud"Courir à l'aube de Frédérique Germanaud est un roman court mais long à lire. Les mailles de l'écriture sont très serrées tout en laissant passer ombres et lumières, vrais mensonges et fausses vérités des personnages comme de l'auteur mis en scène à la table du récit.
Au début du livre, évoquant Le mur invisible de Marlen Haushofer, elle offre au lecteur un exercice apparenté à la littérature comparée :
" Comme moi, la narratrice s'est cognée au ciel, à des cloisons immatérielles, a tenté de faire tomber des murs qu'elle était seule à voir, a crié sans se faire entendre. Puis s'est raccrochée aux mots, usant son unique crayon et recommençant chaque matin à donner cohérence au monde absurde. Faire barrage au néant... Les coïncidences se multiplient à chaque lecture et faussent la perspective de ma propre histoire, substituant la fiction à la réalité."

Cela dit, catastrophe ou pas catastrophe, avant ou après le "Lundi noir", (mais pas pendant), vous rencontrerez un psychiatre et sa petite fille qui enferment de faux oiseaux en papier dans de vraies cages en bois... tout en tournant le dos au ciel de la baie vitrée... Vous croiserez aussi la figure de l'amoureux, (minuscule et majuscule), lequel envoie à la femme quittée des Polaroïd annotés au stylo sur un banc à New York. Mais ne cherchez pas à savoir comment et où ce couple éphémère s'est constitué. Vous n'y parviendrez pas. D'autres personnages passent, incertains tout autant, qui pourraient brûler comme le bonhomme-hiver carnavalesque de la scène inaugurale. Un artiste performeur, quelques inconnus de rencontre dans la friche, taiseux. Un chien mort.
Résultat de recherche d'images pour "frédérique germanaud"D'ailleurs, dans un prochain récit sur ses carnets, à propos de chien... Frédérique Germanaud envisage de... bref ! En voilà des spéculations pour égarer le lecteur ! Elle est où, en fait, la catastrophe ? De quelle hécatombe parle-t-on ? S'il s'agit d'une hécatombe... Il faudra vous lever bien avant l'aube,avant toutes les aubes, et courir plus vite que votre fatigue, plus vite que toutes les fatigues. Pas sûr que vous soyez à la hauteur des vertiges qui vous prendront. Une seule solution : relire le livre. Il en contient tellement d'autres !

Courir à l'aube de Frédérique Germanaud est publié aux éditions La clé à molette pour la somme de quatorze euros. Mille bravos à cet auteur et à son éditeur.

mardi 22 août 2017

André de Richaud, poète d'aujourd'hui

Résultat de recherche d'images pour "andré de richaud"Un jour de cet été, à table autour des mots et des vins, quelqu'un me dit le nom d'André de Richaud. Je pousse un "oh !" de surprise. Et nous parlons de l'auteur de La douleur. Je lui confie mon émotion à la lecture de ce roman, il y a plus de quarante ans... De retour à la maison, je retrouve le Poètes d'aujourd'hui que Marc Alyn a consacré en 1966 à André de Richaud, dans la célèbre collection de Pierre Seghers. 

Extraits :

Les ruisseaux de la mort ont couru sur mes rives
les pierres du soleil ont écrasé mes plaies
les lames du sommeil ont fouillé le feuilletage de ma tempe
et moi je vais tout nu dans le ciel dépeuplé.

*
Collines entraînées par ma voix
arbres récalcitrants aux limites du monde
terres de terre rouge et les montagnes gonflées
d'une vaste peur éperdue
La neige enchantée s'en va et retourne
vers les étoiles de la fièvre
plus pathétique qu'un port démoli de mâtures
et les sanglants rochers
crevés d'os de porphyre
retourneront légers
à travers ton sourire.
Résultat de recherche d'images pour "andré de richaud"
*
Nous boirons sur le seuil d'une auberge lointaine
un clair alcool au fond d'un gobelet rouillé
des barques reviendront de pêches forcément lointaines
dans l'odeur des algues et des varechs mouillés.

Naïfs adorateurs de la rose des vents
des matelots qui ont le cou bien passé au rasoir
demanderont la permission de s'asseoir
sur le bout du banc
Un maquereau aux yeux verts
me demandera si je veux te vendre pour Buenos-Aires
Ce n'est pas l'envie qui m'en manquerait, mais ton père
n'aime guère que ses filles aillent de travers.
Des huîtres, des oursins plus les pâles citrons
nous les mangerons sous l'oeil paterne du patron
qui lancera pour nous, à la mode, nostalgique
le grand orage à tonnerres du piano mécanique.
Le pissoir, non loin, au soleil de feu,
évapore son odeur ammoniacale qui pique les yeux. 
Le soleil, brave chien, te lèche les bras
tout penaud de ne pouvoir aller plus bas
Les petites putes s'en vont au bras des matelots
et l'âme ravie
car
Si les pierres ont des silences
où les siècles peuvent se confesser
une plus sensible cadence
s'entend dans le coeur du laurier.
*
Autrefois j'aurais voulu être le dernier oiseau du dernier platane
La première lueur du matin sur l'aile d'un olivier
L'orange de midi, bien pendue sur ses feuillages de parfum
Et ce nuage qui joue autour du phare
J'aurais voulu être une phrase coupée au raz d'un poème
Découvert par une jeune fille aux cils de pavot
Au bord d'un grenier de Provence
Mais maintenant
Mon dernier désir est que mon souvenir brûle
Les pierres où il est gravé
Ici et là au petit vol de mes voyages
Les sables de la mer n'ont pas besoin de dictionnaire
Toutes les feuilles meurent en automne
Rien n'est qu'un feu mort au fond d'un ruisseau sec

Que mon visage s'écrase en vous
Ombre de ma jeunesse
Et qu'il ne reste rien de ce fer rouge

lundi 21 août 2017

Le souvenir du commencement

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Le souvenir du commencement de l'écriture, on ne l'a jamais.  On cherche la première fois dans les dépouilles de l'enfance. On l'invente puisqu'on n'a rien gardé de nos mots qui trébuchaient. On fabrique le décor d'une chambre nue, d'une chaise qui grinçait, de la page qu'une ampoule en surplomb jaunissait grain à grain. On imagine la position du corps penché. Maladroite. Corps et mots c'est pareil.
Comment faire pour qu'ils tiennent debout ?
*
On ne sait pas que le chemin durera toute la vie. On ignore même qu'il s'agit d'un chemin. Les mots se perdent trop vite. Ils n'ont pas la force encore de figurer des cailloux.

*
Naître à la langue qu'on n'a pas reçue. Avec laquelle on a marché de travers sur des chemins qui n'avaient pas de lignes pour aboutir. Dans une solitude qu'on emplissait pourtant de conversations à voix haute. Et qui effrayaient jusqu'aux oiseaux. C'est là, peut-être, non un commencement mais une origine. Qu'on cherchait dans une fièvre dont on ignorait tout. Puisqu'on ne savait rien, de là d'où on venait.
*
Le début de la face nord. Dans cette absence qui ne se connaissait pas.
*

(J'ai mis ça pour vous reposer de Filiu que vous ne lisez pas alors que c'est lui qui compte en ce moment. Quant à la photo, Brigitte Giraud et mézigue rendions hommage à l'engagement d'un militant communiste à Bacalan et à Bordeaux, Vincent Maurin. Tout ça n'a rien à voir, apparemment. Et pourtant...)

J.P. Filiu, Les Arabes, leur destin et le nôtre, 4

Résultat de recherche d'images pour "jerusalem""L'Arabie Saoudite tire les plus grands bénéfices du déni européen du droit des peuples arabes à l'autodétermination. Plus d'un siècle de Renaissance arabe, loin d'avoir forgé des liens durables entre les puissances européennes et les Arabes de la Nahda, aboutit au contraire à la consécration d'un Etat saoudien fondé sur une idéologie anti Nahda, le wahhabisme. Bien avant la découverte du pétrole, il faut voir dans cet implacable processus une des raisons majeures de l'affaiblissement des Lumières arabes.
Un résultat aussi calamiteux, loin d'être le fruit d'être un sombre complot, découle du refus persistant des décideurs français et britanniques de traiter les Arabes sur un pied d'égalité, alors même que les deux empires coloniaux ont sollicité l'alliance des Arabes contre l'ennemi turco-allemand. Il n'y a pas plus de conspiration machiavélique dans la bombe à retardement que constituent les mandats* en termes de démographie et de frontières. Mais l'imposition par des puissances extérieures de la domination des chrétiens au Liban ou des Sunnites en Irak ne peut qu'alimenter les interprétations paranoïaques, qui font florès aujourd'hui.
Ibn Saoud, malgré les profits qu'il engrange de cet aveuglement occidental, s'interrogera bien plus tard, devant un président américain, sur cette volonté de faire payer aux alliés arabes les fautes d'autrui. Pour les Arabes, avoir été traités comme des ennemis par les Européens, auprès de qui ils s'étaient loyalement engagés en amis, laissera un profond sentiment d'injustice. Organiser des élections et promouvoir une constitution n'aura en effet pas suffi aux Arabes pour enrayer la machine infernale des mandats.
Le visiteur de l'Orient arabe ne sera donc pas étonné qu'on lui renvoie "Sykes-Picot*" et "Balfour*" à la figure, même s'il n'était pas né lors de telles forfaitures. Il ne faut pas y voir une volonté de culpabiliser l'Européen au nom d'une repentance plus ou moins instrumentalisée. Non, il y a bien une incompréhension profonde de la part des Arabes : comment la France et la Grande-Bretagne ont-elles pu adopter une politique moralement aussi discutable, mais surtout stratégiquement aussi hasardeuse ? Un siècle plus tard, nous payons encore, en termes de "retombées" des crises moyen-orientales, le prix de notre décision de soumettre les Arabes plutôt que de nous les associer.
(pages 64 à 66)

Note du copiste

Les mandats décidés par la SDN en 1920 désignent des mandataires français et britanniques pour remodeler des frontières, reconnaître provisoirement des nations indépendantes... en obtenant d'abord l'accord des populations concernées... L'Irak se soulève contre l'occupant britannique dans un jihad de libération et est sévèrement réprimé. Les Français écrasent de même les combattants nationalistes en Syrie...

Mark Sykes et François Georges-Picot organisent en 1916 le partage du Moyen-Orient entre les deux empires coloniaux et trahissent la parole donnée au chérif Hussein dont ils réduisent le royaume à une portion congue.

La déclaration de lord Balfour stipule en 1917 qu'un foyer national pourra s'établir pour le peuple juif en Palestine, en tenant compte des droits civils et religieux des communautés non juives.

image de Jérusalem

dimanche 20 août 2017

J.P Filiu, Les Arabes, leur destin et le nôtre, 3

Résultat de recherche d'images pour "mohamed bouazizi"" La prise du pouvoir par les Jeunes-Turcs à Constantinople, en 1908, est initialement bien accueillie par les militants arabes, d'autant qu'elle s'accompagne d'une plus grande liberté de la presse (d'où la publication de seize journaux arabes à Bagdad, douze à Beyrouth et six à Jérusalem). Mais le nationalisme turc de plus en plus affiché des nouveaux dirigeants entre en conflit avec la sensibilité arabe, d'autant qu'ils paraissent au moins passifs, au mieux complaisants, envers l'immigration juive en Palestine. Le mouvement sioniste, fondé par Theodor Herzl en 1897, est un moment tenté par une implantation en Ouganda. Cette option est rejetée après la mort d'Herzl en 1904, d'où une alya (montée) vers la Palestine qui va, en dix années d'immigration soutenue, amener les Juifs à constituer un dixième de la population de cette province ottomane.
Deux frères chrétiens de Jaffa, les Issa, lancent en 1911 le journal Palestine pour dénoncer la menace sioniste) et la complicité ottomane. Des sociétés secrètes se créent sur le modèle italien, tel Al-Fatat (La Jeunesse) en 1911, ou Al-Ahd (Le Pacte) en 1913. Ce dernier groupe est structuré autour d'officiers arabes de l'armée ottomane, scandalisés par la perte de la Libye par les Jeunes-Turcs au profit de l'Italie. Un "Congrès arabe" se tient même en juin 1913 à Paris, à l'initiative de nationalistes syriens et égyptiens. Mais ce Congrès a beau se conclure par un vibrant "Vive la patrie arabe !", il est dénoncé en Palestine pour n'avoir pas soulevé la question sioniste, sous la pression des "hôtes" français.
Le monde arabe du Congrès parisien de 1913 est radicalement différent de celui de l'expédition d'Egypte de 1798-1801. L'Algérie est sous le joug français depuis 1830 et le Maroc vient de passer sous le double protectorat de la France et de l'Espagne. La Libye est tombée, en 1911, sous la coupe d'une Italie bien décidée à se tailler sa part de l'accaparement colonial. Quant à la Grande-Bretagne, elle a entamé à Aden en 1839 son implantation sur la côte méridionale et orientale de la péninsule Arabique, poursuivie avec méthode d'Oman jusqu'au Koweït.
La Renaissance arabe a été une entreprise multiforme d'émancipation intellectuelle, d'affirmation nationaliste, d'aggiornamento islamique, de développement économique, de rationalisation administrative et d'avancées institutionnelles. Ja mais autant d'Arabes n'avaient été en relation avec d'autres Arabes, au sud de la Méditerranée comme dans la diaspora, en vue de façonner une vision des Lumières qui leur soit propre, enracinée dans une langue, une culture et une fierté nationales. Une ambition aussi vaste ne pouvait que déboucher sur des résultats contrastés, souvent frustrants.
Les Arabes de la Nahda* ont été meurtris de leur impuissance à endiguer l'expansion coloniale. Les deux dynasties modernisatrices d'Egypte et de Tunisie, affaiblies par des crises financières à répétition et par le refus populaire de la conscription, ont dû se soumettre à Londres et à Paris. La synthèse arabe entre le nationalisme et l'islamisme, galvanisée par la récente poussée sioniste, ambitionne dès lors de réaliser ses aspirations à la faveur du premier conflit mondial. C'est pourtant une nouvelle défaite historique qui attend les Arabes.
(pages 38 à 41)
Note du copiste : Mouvement intellectuel de renaissance en Tunisie.

image de Mohamed Bouazizi, 1984-2011, immolé par le feu en Tunisie.