vendredi 16 mars 2018

Le cadeau de Luciné

Résultat de recherche d'images pour "mont ararat"La vie a parfois des sourires dont on devine qu'on les gardera toujours en soi. Dans un étonnement qui ravive la croyance en l'humain.

Luciné, quatorze ans, vient de quitter l'Arménie avec sa famille. L'horizon ne tient plus ses promesses à l'entour du mont Ararat. L'asile en France pourrait lui redonner des couleurs...
En attendant la décision des autorités administratives, Luciné ne perd pas ses journées à pianoter sur une tablette, ne s'abrutit pas de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Luciné lit de la poésie. Luciné lit Passage au bleu de Brigitte Giraud et recopie des extraits sur des feuilles qu'elle assemble avec des agrafes. Elle s'applique à bien former les lettres. Elle veille à ce qu'il n'y ait aucune faute. Puis, grâce à Internet, elle s'arrange pour traduire les textes en arménien, avec l'infinie patience des chercheurs d'or.

Je suis très ému quand Luciné me montre son travail. Par l'intermédiaire de sa tante qui parle français, nous parvenons à échanger autour de la poésie. Je mentionne Parouir Sevak et le visage de l'adolescente s'illumine. Elle prend conscience que traduire de la poésie est quasiment une mission impossible car, me dit-elle en joignant le geste à la parole, la poésie c'est dans la tête, c'est de l'intériorité. Rien n'est plus difficile à traduire que l'intériorité. Puis Luciné me confie qu'elle veut lire aussi mes livres. Plus tard, peut-être, elle écrira.

Il fait nuit quand je quitte Luciné et sa famille. Je ne sens pas la pluie brassée par les sautes du vent. Je ne vois pas les feux rouges et les feux verts qui dansent sur le pare-brise. Je pense au moment rare que je viens de vivre. Une jeune fille, Luciné, aime la poésie et apprend le français avec elle. C'est un cadeau. Un sourire de la vie. Quelques touches de bleu ouvrent l'horizon. L'espoir n'est pas qu'un brin de paille. Vive la poésie. Vive Luciné.

mont Ararat geo.fr

mardi 13 mars 2018

Jean Azarel, Trans' Hôtel Express

Résultat de recherche d'images pour "jean azarel"Jean Azarel aime les "lieux transitoires" que sont les hôtels. Minables ou cossus. Au bord des autoroutes ou nichés dans les beaux quartiers. Quand la nuit tombe et quand le jour se lève sur les masques fissurés de l'humanité souffrante. A tel point que la portion de confiture sous plastique devient un réconfort.
Dans Trans' Hôtel Express, l'auteur cherche à oublier son ami Jimbo, guérillero desdichado, et la belle danseuse Estrella dont les yeux mauves ne brilleront plus jamais. Il erre d'hôtel en hôtel sous toutes les latitudes du monde. Il ne s'agit pas de voyages mais de déplacements réels et imaginaires, hantés par des souvenirs réels et imaginaires. " Ma chambre était un bateau", écrit Jean Azarel dans son prologue péréquien.

En toile de fond défile la culture américaine des années soixante-dix et quatre-vingt. La voix de Nico et la mélancolie de Chet Baker traversent le blue velvet d'Isabella Rossellini. Le fils de William Burroughs, médecin, dénonce la beat generation décimée par les drogues dures et mettrait volontiers Lou Reed en prison pour apologie des shoots. Son père, cette "gloire de pacotille", n'échappe pas davantage à l'opprobre. 

Sur le devant de la scène, au Lux hôtel où Madeleine agonise comme au Lorraine Motel où Martin Luther King prend le frais, la même désespérance saisit le lecteur. Celle de l'alcool jusqu'au coma, de la drogue jusqu'à l'overdose, du sexe brutal et violent, des adolescentes déjà prostituées, des bagarres au couteau et des flics corrompus, de la saleté du sperme et du vomi, des ordures ménagères abandonnées au fond des arrière-cours.

L'oubli bien sûr est impossible. Comment être un survivant parmi tous les morts qu'on a chéris ? En se prenant, peut-être, pour un oiseau. Celui de Pessoa, "une trace dans le ciel qu'on nous promet par défaut". Et c'est ainsi que naît la [certitude que le réel est imaginaire].

Trans' Hôtel Express de Jean Azarel est publié par les éditions Tarmac. Il coûte 10 €. Accompagné de son CD, il coûte 14,50 €.

Photo de Louise Imagine

dimanche 11 mars 2018

Mathieu Brosseau, Chaos

Résultat de recherche d'images pour "Chaos de mathieu brosseau"Dans la pluralité des mondes et des durées, des espaces et des langues, des ventres, le Chorion est une "méduse en plein ciel, terrifiante et filandreuse, comme aspirante et ascendante, un trou marron et sanguin, organisme avaleur et recrachant de l'inconnu en plein ciel".
Cette vision placentaire/éjaculatoire qui s'est substituée au soleil est partagée depuis l'enfance par deux soeurs jumelles, La Folle et l'Aînée (de quelques secondes).
La Folle résiste tant bien que mal à la camisole chimique dans un hôpital psychiatrique et livre un grand combat aux chimères qui submergent son corps. L'Aînée, loin très loin de sa soeur (le lecteur comprendra pourquoi à la fin du livre...) résiste tant bien que mal à l'alcool qui la dévore et aux chimères qu'elle peint dans son appartement. 
Un interne en obstétrique, cette spécialité n'est pas un hasard, fait évader La Folle et voyage avec elle en train pour qu'elle retrouve sa soeur.

Cette histoire est très banale dans la pluralité des histoires qui tournent autour de la folie. Mais peu ont été écrites de façon aussi extrême dans l'intensité. Dire que le lecteur chancelle en s'enfonçant dans le Chaos gélatineux de Mathieu Brosseau n'est pas une métaphore. Et, une fois encore, voilà la preuve que la littérature c'est le style.
Les visions de l'auteur, fortement imprégnées d'obsessions animalières (insectes et batraciens, hamsters confondus avec des rats, arachnides, mollusques...) sont boschiennes, surréalistes, oniriques, psychédéliques, baroques voire rococo, science-fictionnelles et j'en passe, dans un flux organisé comme une partition. La langue, qui charrie la logorrhée jusqu'au coeur du bégaiement, éructe dans le corps autant que dans l'esprit. Le crépitement hoquetant des onomatopées (onomataupées dans les souterrains de la chair, du sexe ?) en atteste. Les noms des lieux traversés (La Ville, l'Autre Ville et la Villa des Collectionneurs, les Terres bleues, la Ville-Frontière, la Capitale du Grand Occident, le Mont dans le canton du Pays-des-Montagnes, le Pays-de-l'Autre-Côté-de-la-Mer) participent aussi du grand vertige dans la confusion du dehors et du dedans. 
Bref ! Laissez-vous déchirer sans plus attendre par ce roman dont le chaos  est en chacun de nous, prêt à jaillir comme un crapaud pour dépecer le monde.

Liste non exhaustive des onomatopées ou pouvant être considérées comme telles :
bwiz, zig, zaza, zwing, bwikz, squik, pruf, pouacre, tac, bwizz, urff, zwif, zgwig, pwiff, zgag, zouf, bigzig, clac, fleuff, kha, khik, klihk, kik, bling, bwaz...

Chaos de Mathieu Brosseau est publié par les éditions Quidam qui confirment avec ce roman leur parcours singulier. (18 €)

jeudi 8 mars 2018

Omar Youssef Souleimane, Le petit terroriste

Résultat de recherche d'images pour "omar youssef souleimane le petit terroriste"Partisans d'une pratique religieuse rigoriste, les parents d'Omar Youssef Souleimane, dentistes syriens, s'expatrient en Arabie saoudite en 1999. A douze ans, Omar est inscrit dans une école coranique où même la longueur de la djellaba obéit à un règlement strict. L'essentiel de l'enseignement porte évidemment sur le monothéisme et son interprétation, très stricte elle aussi. L'embrigadement est si poussé que le professeur de mathématiques écrit au tableau la phrase " Dieu seul le sait. " quand il résout une équation... Le lavage de cerveau n'est pas moins intense à la maison. Les juifs et leurs alliés occidentaux incarnent le mal absolu. Les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis donnent lieu à d'immenses manifestations de joie. La mère d'Omar regarde en boucle les informations sur Ben Laden. Son père se souvient qu'il rêvait de faire le djihad en Afghanistan dans les années 1980. Omar, pourtant déjà visité par le doute, succombe à l'envoûtement : " Oussama Ben Laden ... avait enfoncé la porte de la peur afin que les jeunes musulmans puissent suivre son exemple. Je me suis imaginé avec lui dans les montagnes de Tora Bora, vêtu à l'afghane, portant une arme. Là-bas, je regarderais les étoiles, dormirais dans les grottes et rien d'autre. Les médias diraient de moi que j'étais un criminel et peut-être le plus petit terroriste du monde."

Fort heureusement, l'imagination du "petit Omar" se laisse traverser par d'autres fièvres, beaucoup moins violentes, beaucoup plus délicieuses. La jeune Mouna laisse entrevoir quelques parties de son corps et un trait de khôl embellit discrètement son regard. Le feuilletage de quelque magazine érotique complète agréablement l'émoi naissant et la masturbation va bon train... dans un univers où le corps est considéré comme diabolique...

Sauvé par la chair fantasmée, Omar l'est aussi par la puissance poétique et musicale de la langue arabe. L'apprentissage du Coran dès l'âge de cinq ans n'assombrit pas son émerveillement à la lecture de nombreuses poésies. Plus tard, la découverte d'Eluard et d'Aragon le métamorphose. " J'imaginais devenir poète. En rentrant à la maison, je songeais aux colombes qui revenaient à leurs nids après avoir porté les messages qu'on leur avait confiés.", écrit l'auteur de Le petit terroriste. Plus tard encore, son père lui ayant offert un ordinateur, Omar s'affranchit définitivement grâce à Internet de toute croyance religieuse alors qu'il aurait pu au contraire basculer dans une radicalité plus aveugle. Non sans humour, il déclare souhaiter rejoindre en enfer les génies Aristote, Platon, Einstein, Edison, Rimbaud... ainsi que Monica Bellucci et Angelina Jolie... parmi tant d'autres sublimes créatures.

Le petit terroriste d'Omar Youssef Souleimane est un récit totalement authentique. Composé de textes brefs, une à six pages, il raconte l'épouvante vécue en Syrie après le retour de la famille au pays. Bachar al-Assad massacre son peuple et Omar devenu journaliste au service de la liberté est exfiltré d'extrême justesse en Jordanie puis exilé à Paris où il réside, cela ne s'invente pas, rue du Paradis...

Au-delà des faits, il pose surtout une question philosophique majeure : Un islam compatible avec les idées de liberté et de démocratie est-il possible ? 

Le petit terroriste d'Omar Youssef Souleimane est publié chez Flammarion et coûte 17 €. L'auteur, qui a par ailleurs édité des livres de poèmes, (Loin de Damas, éd Le Temps des cerises, 2016...), sera présent à l'Escale du livre à Bordeaux début avril. N'hésitez pas à le lire et à le rencontrer.


lundi 5 mars 2018

Le long des embrasures


J'ai le plaisir de vous annoncer pour la fin du mois d'avril la parution de Le long des embrasures aux éditions du Cygne. C'est un ensemble d'une cinquantaine de textes dans lesquels j'essaie d'épuiser le même paysage vu depuis un toit de Bordeaux dans le quartier Paul-Bert à différentes heures du jour. Le peintre André Jolivet a illustré trois de ces poèmes dans un livre d'artiste. Jeanne Maillet a repéré le texte lors d'un prix littéraire au Touquet et lui a octroyé une bourse de cinq cents euros. Enfin, Jean-Claude Goiri des éditions Tarmac envisageait de le publier. Ces trois personnes sont les dédicataires de l'ouvrage car "dans mon pays on remercie" comme disait la Grande Citerne Charivarienne. La photo ci-jointe, que j'ai prise à Porto l'an dernier, illustrera la couverture, avec des retouches. J'en reparlerai bien sûr, ne serait-ce que pour l'éditeur qui me fait confiance et que je remercie aussi. Mais vous connaissez mes réserves quant à l'auto promotion intempestive... Je contacterai cependant quelques librairies ou bibliothèques pour des lectures et, accessoirement, quelques ventes.

(La couverture du livre est prête depuis trois mois mais je ne parviens par à la télécharger car c'est du pdf et que mon blog ne le prend pas en réserve.)

dimanche 4 mars 2018

Remonter du sommeil comme d'une glaise

Résultat de recherche d'images pour "galet"Remonter du sommeil comme d'une glaise trop humide. Cette sensation-là dans le soir aperçu par la fenêtre. Un vent fort s'est levé pendant qu'on dormait. La tourbe se sera tassée au pied du seringat. C'est là peut-être qu'on s'est enfoncé, dans un corps indéfini. Sans mémoire de sang.

*

On lit un livre sur les arbres. On lit un livre sur les pierres. L'éternité fragile dans les veines du bois comme dans les veines du galet. On s'apaise à cette idée qui réunit tous les corps. Le souffle accompagne mieux les humeurs dans la sonde. On décide que demain sera un jour étale. Sans éclats. On imagine déjà les traits du paysage qu'on portera en marchant dans la maison. On voit un cerisier au chevet d'un jardin sec. Un pétale tremble dans l'air. Une pointe d'obsidienne luit parmi des gravillons. Quelle entaille dans la rêverie du promeneur ? L'horizon est-il si ténu dans sa fuite ? On ramène sur soi la couverture de laine rouge. On a des fourmis le long des jambes. On pense aux arbres et on pense aux pierres. Au pétale qui n'en finit pas de trembler.

*

On se souvient qu'on a été opéré à douze ans des végétations. On a gardé l'image d'un masque noir sur le visage. Comme un poulpe. Redoutait-on, déjà, les humidités des corps ? On ferme les yeux et le mot végétations vibre d'un sombre écho. Un arbre pousse dans la vessie. Racines de pierre au coeur des plis. Epanchements d'humus mais de quel ventre ? On pense à une mère dans ses fièvres. On noircit l'image. Quelqu'un d'autre aurait la tentation du bleu ou du jaune. A-t-on jamais vraiment aimé le bleu ? N'était-il pas trop vaste là où on a grandi ? Le jaune effrayait-il à ce point l'enfant perdu ? On ne sait plus dire. La mémoire se défait comme une terre pauvre. On ferme les yeux.

image planete-cristal.net
(Cet article est le quatre-centième de ce blog. Je ferai un petit bilan. )

lundi 12 février 2018

L'enfance encore vient déranger

Résultat de recherche d'images pour "salvador dali miroir"L'enfance encore vient déranger le silence. On ne sait pas s'en prémunir. On regarde comme au théâtre le défilé des souvenirs. A-t-on vraiment joué dans cette pièce ? L'a-t-on seulement regardée depuis des coulisses ? On a eu cinq ans puis dix ans. On a en soixante-deux. Les paysages retouchés mentent un peu. La solitude était déjà là, dans le sang. Des brassées d'oiseaux traversaient le ciel et les brumes. Le vent dans les blés de juillet tenait d'étranges conciliabules et on avait peur. Et on prenait du plaisir à cette peur qui faisait vivre la peau. Les blés ont disparu de l'imagier. Le vent n'a que le seringat du jardin pour horizon. Les oiseaux volent par deux à ras de terre. On vieillit. Le corps ne remplit plus tout à fait le corps. La mort travaille le vide.

*

Il y a une semaine on traversait la ville la nuit. Les boulevards baignaient dans un jaune usé. Les abribus étaient déserts. Un long trait de jazz aurait pu suivre le trajet de la maison à l'hôpital. Tout allait bien. La mélancolie se tenait loin des regards et des chiens. Quelques trouées claires entre les nuages allégeaient le poids du ciel. L'accueil était prêt sous les lampes du bloc. Des écrans veillaient. Des lignes vertes couraient avec des lignes bleues. Des visages passaient. Des voix parlaient. Un ballet de bleu de vert de blanc. A-t-on inventé aussi un peu de rose sur le mur soudain ajouré d'un fenestron ? A-t-on rêvé la vie de l'anesthésiste qui venait de Lituanie ? A-t-on seulement pensé dans le passage au noir ?

*

Nettoyer. Désinfecter. Maintenir le corps propre. On épure les gestes. L'oeil cherche un raccourci dans les distances. La main effleure avant de prendre. Le temps au ralenti n'égare pas l'esprit. Un reflet pourtant, d'où vient-il, compose un visage au miroir. On s'arrête. On cherche l'équilibre de la pause. L'image a comme des impatiences dans ses bougés. Lumière du reflet contre lumière du tain. On manque de mouvement pour saisir les lignes. Le visage n'est pas sûr. Aucune langue ne viendra jusqu'à lui. On reprend le travail d'ablution qui paraît plus lent. La fatigue passe dans la peau. On s'est attardé au miroir sans nommer les contours. On a refusé de s'y reconnaître. A quoi bon ce vain combat ? Aurait-on besoin de souffrir davantage ?

(Merci à Salvador que j'ai tant aimé.)

samedi 27 janvier 2018

La compagne aimée demande

Résultat de recherche d'images pour "planches d'entomologie"La compagne aimée demande si la douleur n'est pas trop forte. Ses lèvres dessinent des papillons roses et butinent les calices du bouquet dans son vase. Il faudrait qu'il ait un col de cygne pour que l'image soit totalement sucrée. On sourit et la douleur reflue. On pense aux années déjà partagées, à celles qui viendront encore. Avec leurs mots pour épauler les corps. En attendant.

*

Le poète Joe Bousquet est resté alité de 1918 à 1950. On imagine mal l'insurrection de sa jeunesse fauchée par un fusil quelques mois avant la fin de la guerre. On ignore comment ont pu avoir lieu des accommodements raisonnables avec l'absurde. Les grandes douleurs sont-elles vraiment muettes ? Quel poète serait devenu Joe Bousquet si la tragédie avait surgi d'un autre hasard ? On passe avec cette question un moment filandreux. Qui épaissit l'esprit. Le corps aussi s'engourdit. On tirerait volontiers les rideaux dans la chambre. Que soient submergées toutes les ombres sous le lit et la peau ! Joe Bousquet aura souhaité cela parmi des milliers d'autres souhaits. Dans la colère. Dans la malédiction de toutes les boucheries humaines. Etre cloué à vingt ans comme un coléoptère sur une planche ! Puis dans quelque chose comme un apaisement nécessaire. Un apaisement qui ne s'est pas résigné. Qui a continué à faire vivre les restes du corps. Inexorablement.

*

On vide toutes les heures une poche remplie d'urine et de sang. On mire la couleur du liquide comme autrefois on mirait les oeufs fécondés. Piètre comparaison. Où se trouve la vie dans ce caillot qui glisse si mal le long du tuyau en silicone ? Et la mort, que trame-t-elle dans les plis les plus sombres ? On s'agace. On referme le robinet de la poche. On s'en retourne à la couche. Tout est calme dans la maison. Les objets restent à leur place d'objets, ne contrarient pas les gestes rétrécis. Le bouton d'un tiroir jette un ou deux éclats de nacre. La lampe du salon n'organise aucun mystère avec des ombres fausses. On tiendra jusqu'au soir sans les tromperies des questions. On saura faire respirer l'esprit au creux du ventre.

(Ces textes font partie d'un ensemble imprévu, qui a commencé à s'écrire le 11 janvier. Et voilà qu'ils sont déjà une cinquantaine. 
Autre chose, mon recueil Le long des embrasures paraîtra fin avril aux éditions du Cygne que je remercie.)

image entomocollection-blogspot.com

mercredi 24 janvier 2018

Dormir pour apprivoiser

Résultat de recherche d'images pour "bouteille d'eau"Dormir pour apprivoiser ce qui résiste dans le corps. L'oiseau idéal drainera les sanies et le ciel sera un drap bleu au réveil. Sourire. Tenir avec les mots les plus simples. On l'a deviné il y a longtemps. Un grain de plâtre tombé du mur nous l'aura dit mais c'est plus tard qu'on l'aura compris. En suivant le chat qui jouait à la feuille morte. Un jour de novembre. Etait-ce vraiment l'automne  dans la terre meuble du seringat ? Le vent avait-il quelque saute à murmurer dans les branches ? Et voilà retrouvé, dans le fil des questions, le souffle du sang. La nuit peut tomber.

*

C'est un dimanche de lumière sale. On se réfugie sous une couverture de laine rouge. Tout sera plus long. Laver le corps. Désinfecter le corps. Habiller le corps. Détendre l'esprit dans sa grande solitude. On guette un mouvement par la fenêtre trop immobile. Rien ne bouge et rien ne bruit. La vie aura quitté le monde. L'oiseau las, le chat taciturne se seront dégoûtés du silence. On s'amuse un moment de cette image d'animaux qui renoncent. On se souvient de la dissipation de la vie dans un roman italien. Un seul témoin pour dire l'effroi du vide mais à qui ? Le silence n'est d'aucun secours s'il est trop silencieux. Le corps se remet à geindre. Il faudrait se lever. Dresser la liste des gestes qui ouvriraient le chemin jusqu'au fruit sur la table du salon, jusqu'à la bouteille d'eau à remplir encore. Il faudrait cela dans la lumière sale. Et la paix viendrait dans le sang. Mais un volet qui grince recompose l'espace de la chambre. Tout sera plus long. Plus loin.

*

On pense peu aux grands souffrants qui résistent toute une vie. Leurs actes sont des leçons. Leurs paroles sont des leçons. Construisez votre joie comme nous construisons la nôtre, disent-elles. Oui. Bien sûr. On donnerait de la force à l'oiseau contre le vent. La lumière blesserait moins les yeux tristes. La douleur aurait l'aiguillon plus doux. Bien sûr. Et pourtant. Cette réticence qu'on a. Le dépassement de soi tresse des lauriers à la chaîne. Frappe des médailles sur la poitrine des valeureux. On n'est pas valeureux. On craint le sang qui s'épanche. On redoute les urines retenues dans la vessie. Et l'oiseau ne tient pas debout sur le muret du jardin. Il a peur. La pluie pourrait tomber. Une branche casser. Et ce serait l'aubaine du chat tendu vers sa proie. L'autre leçon du pire.

image lematin.ch

samedi 20 janvier 2018

Le corps dépose parfois l'esprit

Résultat de recherche d'images pour "sonde urinaire"Le corps dépose parfois l'esprit dans une grande solitude. Les pensées manquent de mots. Les traverses sont trop loin de la fatigue. Le ventre pèse où macère le sang noir. On veut vivre pourtant. Les yeux s'en vont vers les oiseaux qui croisent au large. La lumière s'avive sous l'allège dans la chambre. On retrouve là les signes perdus de l'enfance. Une bille de terre s'invente au creux d'une rainure. Les restes d'une clisse luisent sombrement au souvenir du grenier. Le ciel est bas soudain et l'oiseau n'est plus une promesse. On veut vivre pourtant. Eprouver le mouvement qui retient les plis contre la peau. Pour un peu on rirait des mièvreries qu'on envisage. Une ombre passe au bout des cils. Elle ne dessine aucune ramure sur fond d'azur. Elle ne dit pas que c'était beau quand on avait dix ans. C'est avec elle qu'on se tiendra tout le long du jour. Dans le répit des chairs. On est vivant.

*

On vit depuis deux jours appareillé d'un tuyau au bas du ventre. Le temps s'écoule moins vite que les humeurs. Les gestes cherchent la mesure la plus sûre. Pour que le repos vienne dans l'attirail du corps. On ferme les yeux. Les bruits de la maison montent par l'escalier comme le chat effaré. L'émail est plus lourd, la céramique plus légère. Un froissement de chiffon en barbouille l'écho. On ferme les yeux. On devine le visage inquiet de la compagne aimée. Elle regarde le jardin se lever dans le matin. Quel tri pourrait-elle faire parmi les ombres à partager ? On reste longtemps avec cette question du fardeau qui leste nos pas. On pleurerait presque. On se retient. Des rumeurs viennent de la rue, qui nous étonnent.Elles ne sont pas exactement de ce monde. Plus sourdes ou plus feutrées, on reconnaît mal ce qu'elles disent des hautes solitudes. On ferme les yeux.

*

La douleur passe dans toute la chair. Elle ne s'attarde pas autour des fibres. Elle est comme un instant de lumière blanche égarée dans la nuit. La fatigue retourne longuement cette image après qu'elle a passé. La mémoire sème le trouble dans les souvenirs qui bégaient. On ne sait plus trop quand l'enfance a vécu un semblable empêchement. On s'attarde au trait de lumière blanche. On rejoue le film lent d'une détresse. Les phares d'une voiture peinent à trouer le brouillard sur une route de campagne. Des peupliers trop penchés dérobent le chemin. Une femme crie dans la voiture. Sa main tremble sur un accoudoir. Un homme à côté d'elle cherche un refuge. Le film pourrait durer encore. La lumière serait plus coupante. Des nuées de bêtes rouges viendraient y conspirer. La douleur de nouveau là taille dans le ventre. L'homme ne dira rien.