Voilà un titre dont l'énigme saisit aussitôt l'interloque. Par quel glissement, su et insu, un faux départ se change-t-il en un faux partir ? Un départ laisse entendre un point depuis lequel une action va se dérouler à un moment précis. Le faux départ est bien connu des coureurs de fond trop pressés. Il existe aussi en littérature. La première phrase d'un texte ne dit pas toujours exactement ce que l'auteur souhaite déplier. Elle est reprise, puis reprise encore, jusqu'au ton le plus juste afin que le réel s'assemble dans l'infinie variation de ses représentations et atteigne son point de chute. En ce sens, l'écrivain est pareil au golfeur ou au tireur à l'arc, dans la geste du désir.
Mais quid du Faux Partir de Patrice Maltaverne alors que partir n'a pas de forme substantivée ? De plus, le mot dispose d'un champ sémantique d'une grande amplitude. Et n'oublions pas cette ritournelle : Partir, c'est mourir un peu. Serait-ce à dire que si le partir est faux on meurt un peu moins ?
Dans son recueil où les poèmes vont par deux, l'auteur nous confie les petits bougés de ses perceptions incertaines. Ainsi, "Je rêve d'un pays bizarre" devient "Je songe à un pays plutôt bizarre". Songer n'est pas rêver. La conscience du songe nuance la bizarrerie du pays alors que le rêve est infesté de taupes enfouies et "de miasmes morbides". De même, "Je reste sur le bord de la route" ; le poète y étant "laissé pour mort", ne résonne pas comme "Je campe au bord d'une route". Camper suggère une volonté d'attendre la nuit pour "refaire un tour de passe-muraille" et "l'autre côté" se présente autrement au lecteur. De la blancheur noire des troncs à leur blancheur sale, le paysage s'affranchit du "champ de bataille de la plaine immobile" et résiste au goudron qui pourrait l'étouffer.
L'autre côté revient plusieurs fois sous la plume de Patrice Maltaverne. Qu'il soit "dans la rase campagne" ou dans la ville qui [survit d'expédients usés], il dit la mort sans jamais vraiment la nommer. Ses "périscopes" ne voient peut-être pas si loin. Seraient-ils borgnes ? Comment, dès lors, s'assurer des frontières, des limites imprécises, des zones périphériques, des routes et des rails en leurs lignes de fuites ?
Le poète s'éloigne des "hauts parleurs de la cité et marche dans la campagne. Les voitures sont des fourmis noires en embuscade, dont les rumeurs suppurent comme un regret. Le marcheur est "sûr d'être parti" mais la ville a des murs murmurants*. Ils suintent dans l'âme encombrée de pesanteurs depuis la naissance. La folie menace jusqu'aux brins d'herbe et les visages sont "des pavés" à jeter aux rebuts de la boue. Une éclaircie viendra-t-elle, où le poète pourra retrouver un peu de son appartenance ? "Il y a plein d'issues à choisir / Il suffit de les imaginer accessibles / pour qu'elles le deviennent", observe l'auteur en quatrième de couverture. Sachant que la géographie de l'imaginaire est aussi méandreuse que celle de la ville, avec ses asiles et ses cellules, il faut au poète une longue patience dans l'exercice de sa volonté. "C'est un jeu passionnant" malgré les dangers. "Vivre avant de mourir" n'est jamais sans risques. Attention aux faux partirs* des mots comme des corps...
Extraits :
Le passage qui existe entre ces deux murs
Ne sera jamais beau c'est pourtant là
Que je veux m'attarder avant de disparaître
Parmi les platanes qui choisissent d'être aveugles
>>><<< La ruelle qui existe entre ces deux murs noirs
Est un trompe l'œil fait pour perdre les corps
Du moins pensent-ils qu'ils rient avant d'être
Aspirés par ces mêmes murs qui les étouffent
De quoi est fait le désert chez nous ?
Nous n'avons pas eu le temps d'aller
L'observer de plus près puisqu'il est
Interdit de croire en des choses sales
Il fallait me résoudre à attendre le soleil
Qui se poserait un matin dans la plaine
En attendant je suis allé ouvrir la serrure
De cette cabane abandonnée là comme un signe
Faux Partir de Patrice Maltaverne est précédé d'un avant-dire signé Pierre Bastide, avec cette chute : "Faux partir pour voyager vrai !" Il est publié aux éditions Le Manège du Cochon Seul et coûte 9 €.
* Les murs murmurants rappellent ceux de Victor Hugo.
* Le mot partir étant ici substantivé, il devient logique de l'accorder au pluriel.