mercredi 1 décembre 2021

Choses revues dans Bordeaux et ailleurs


Les éditions Aux cailloux des chemins publient ce premier décembre mon récit étoilé Choses revues dans Bordeaux et ailleurs. Il est d'ores et déjà en librairie à Bordeaux. (Mollat, La Machine à Lire, Librairie Olympique). On le trouve également à Paris (Le monte en l'air, La manoeuvre, Texture, Vendredi), à Marseille (L'odeur du temps, Histoire de l'oeil, L'hydre aux mille têtes) et à Toulouse (Ombres blanches, L'autre rive, Terra Nova). Il est également disponible à la commande sur le site des éditions ou sur la plateforme Decitre et dans toute librairie.

Souvent poétique et parfois comique, engagé dans la défense de la cause des femmes, il vous fera déambuler avec moi dans la ville et dans le tram qui me conduit jusqu'à Porto, Alcala de Henares et Saint-Pétersbourg.

Et puis il y a Emma, qui n'est pas que la Bovary. Et encore Mathilde, qui n'est pas que stendhalienne. 

Enfin, vous risquez de rencontrer un personnage échappé d'un roman de Martin Page. Il n'est pas méchant mais toutes les polices sont à ses trousses parce qu'il n'en fait qu'à sa tête.

Voilà. Mieux vaut lire ce message aguichant qu'une déclaration de candidature à l'élection présidentielle devant un micro vintage.

Je vous remercie.

site des éditions : 

https://www.aux-cailloux-des-chemins.fr


lundi 29 novembre 2021

Claude Bourgeyx est mort

 Claude Bourgeyx est mort ce matin. Je sais qu'il se méfiait des épanchements, alors je voudrais écrire quelque chose d'un peu marrant, quitte à grincer un peu des dents. Mais je n'y arrive pas. On se rencontrait une ou deux fois l'an depuis trente ans avec ma compagne et la sienne, ou dans des théâtres, des expos car il peignait et c'était bien aussi ce qu'il jetait sur les toiles, disant : les oeuvres d'art coûtent trop cher, je les fais moi-même.

Et puis, avec Pierre Veilletet, il est l'écrivain résidant à Bordeaux (Caudéran) qui s'est penché sur mes premiers essais d'auteur. Exigent et bienveillant. Voilà. 

Pour mémoire, Claude n'est pas qu'un auteur de théâtre joué par des comédiens de réputation nationale, (Claude Piéplu, Anémone, Bernard Haller, Bernadette Laffont...). Et pas non plus que l'auteur du Fil à retordre pour les gosses, je m'en suis beaucoup servi dans mes classes pour mes petites mises en scène et à chaque fois il est venu quand je lui ai demandé, pour causer avec mes petits acteurs sans costume.

Il est aussi l'auteur de romans pour adultes qui n'ont pas eu l'audience qu'ils méritent. Je pense à plusieurs titres : Les égarement de monsieur René, Le chef-d'oeuvre, L'amour imparfait. Publiés chez Arléa.

Voilà. C'est comme ça. 


Photo de street art à Bacalan, elle lui aurait plu.

mardi 23 novembre 2021

La piscine, demain

La piscine, revue graphique et littéraire, vient de faire paraître un numéro hors-série sobrement intitulé demain. Dans sa préface, Christophe Sanchez évoque ce qui "nous met à l'épreuve d'être ensemble" quand nous percevons "notre bien commun". Le pire comme le meilleur ne sont jamais sûrs. Demain ne sera ni utopique ni dystopique. Il sera ce que nous ferons, à hauteur d'homme, si nous le voulons. Dans son demain pétri de cocasseries, Perrin Langda dresse un petit inventaire des procrastinations pour ajourner le réel : "j'ai bobsleigh acrobatique puis natation hippique", "une leçon de pole dance en milieu naturel" ou une "satanée master class de cuisine récup' "... Au parti du rire grinçant, répond celui du rêve. Annabelle Larcheveque imagine que " Demain sera sauvage / vivant / ni écrasant ni écrasé / la paume ouverte / et le songe écouté ". Mais, si l'on en croit Pierre Rosin, demain n'est peut-être que l'idée creuse d'un trou sans bord. " C'est le néant qui nous pousse et nous attire", derrière tout en étant devant, et inversement. Là, qui sait, se trouve le moteur de l'énergie humaine, dérisoire ou pas. 

Notons encore, parmi les nombreuses contributions, celles d'Eli Desanlis dont le "corps s'allongera pour devenir une nouille cosmique", de Fabrice Farre qui envisage le jour "comme un mobile suspendu" et de Jean-Baptiste Pedini qui "porte l'avenir comme d'autres une croix".

Du côté des proses, le lecteur appréciera bondir hors du trou de Françoise Renaud, dévaler, dévaler d'Audrey Gilles ou, parmi d'autres, vingt ans d'un coup de Victor Malzac.

Les photographes, en écho ou en contre-écho, ont ouvert l'oeil sur les tendresses retrouvées, (Bastien Brillard, Demain des câlins, Philippe Castelneau, Les retrouvailles) et les inquiétantes solitudes, (Cédric Nieutin, Trois sourires, Maxime Tenaud, Dernier regard, Hélène Desplechin, Demain).

Remarquons aussi, dans certaines images, l'absence humaine qui pourrait laisser à penser que, mais comment savoir, entre disparition définitive et dissipation temporaire, ce qui restera ou non de nos traces... (Thierry Béghin, Demain n'existe pas, Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi).


Extraits :

J'ai planté un écriteau dans mon cerveau. Pour ceux d'ici c'est un secret. A vous je veux en parler. J'ai fui la guerre. Ni lâcheté ni courage. On ne laisse pas sa famille mourir. On serre ses enfants dans ses bras et on leur promet la vie encore. C'est tout. Le reste est entre les mains du temps. A lui de durer assez longtemps pour qu'un jour ils n'aient plus peur des hommes. A lui de leur faire oublier que les monstres existent en dehors des contes. (Karim Alami)

*

Dépêche du 26 avril 2031. Le 18 avril, un individu pénétrait dans le service des chronophobiques de l'hôpital Bicêtre. Au mépris du protocole, l'accusé est entré avec une vingtaine de smartphones scotchés sur le torse. Les téléphones se sont ensuite déclenchés, diffusant partout la voix de l'horloge parlante. Bilan : trente crises d'angoisse et un arrêt cardiaque. (Eléonore Sibourg)


Ce numéro hors-série de La piscine coûte 12 €. N'hésitez pas à le commander à votre libraire ou sur le site revuelapiscine.com, il en vaut la peine et la joie itou.

image de Cédric Merland

lundi 8 novembre 2021

Les trois infirmières

Depuis deux mois, je reçois à mon domicile des soins infirmiers quotidiens. Carole D***, Malorie S*** et Sarah B*** veillent sur une cicatrisation abdominale qui joue les prolongations. Malgré des journées de travail éprouvantes dans un quartier blessé par la misère sociale, elles savent accorder à leurs patients le supplément d'âme de la conversation, s'attardent deux ou trois minutes qui soignent aussi.

Au fil des jours, des portraits s'assemblent lentement. Dont j'invente les visages sous le masque sanitaire, portés par les voix et les rires dès potron-minet. Ces trois infirmières, comme tout un chacun, sont autant des personnages que des personnes. Elles racontent des petits bouts de leurs joies ordinaires, celles où les souvenirs s'enracinent plus sûrement, plus longtemps. Un voyage au pays des maringouins, une longue traversée de l'Espagne avec enfants à bord et les heures ne comptent rien dans la voiture quand le soleil brille même couché, ou, périple plus immobile mais non moins fécond, la contemplation d'une bibliothèque menacée d'hypertrophie. 

Il me plaît d'imaginer que ces portraits de femmes qui incarnent trois générations n'en font qu'un. Celui de la vie au service de la vie quand le corps va de guingois. Trop souvent ignoré, voire dédaigné par ceux qui n'ont rien dans le regard. Et je repense à Camus, cet homme de peu venu d'outre-Méditerranée pour enchanter la langue. Il disait qu'il y a chez l'homme plus à admirer qu'à mépriser, faisant écho au vers de son ami René Char : "Dans mon pays on remercie".

Alors voilà, en ces temps que nous vivons, plus incertains que jamais, où la pensée peine à ouvrir des chemins sûrs, où la gangrène des chimères empeste, je remercie Carole, Malorie et Sarah. 

Continuez, mes chères, à inventer le "roman sans cesse médité" de l'éternel humain.

mercredi 6 octobre 2021

Michel Bourçon, Le vent souffle sur nos traces depuis toujours


"Peut-être vivons-nous sans nous regarder / exister / sans nous voir abattus / sous les averses des années pour attendre ce seul / moment arraché à notre horizon / ouvert sur l'évidence d'une aile"

Dans Le vent souffle sur nos traces depuis toujours, Michel Bourçon arpente, sur la terre comme au ciel, les vastes étendues de notre ignorance. Quel est ce "lieu désert" qui nous habite si nous ne savons pas y reconnaître "nos rebuts" ? Les oiseaux, sternes et cormorans sous la nue, colverts et cygnes épousant les miroirs trompeurs de l'eau, se désignent plus sûrement que les émotions et les sentiments, du moins le croit-on. Le temps lui-même se perd dans le maillage de ses durées et "la mémoire agite des souvenirs comme autant de marionnettes désavouant notre existence". Quant aux étoiles, dont on ne sait jamais si elles sont vivantes ou mortes, nous manquons de mots pour dire ce qu'elles éclairent de nous en nous. Dérisoires comme toutes nos empreintes, elles finissent au matin becquetées par les oiseaux et nous abandonnent à "une attente sans objet".

Michel Bourçon, comme Artaud, ne s'appartient que par éclaircies et sa lucidité n'en est que plus foudroyante. "Peut-être naissons-nous dans l'esprit de chaque chose sans nous en rendre compte", écrit-il en son entretien métaphysique. Cependant, au bord de la Loire ou sur un coteau, le poète parvient à se sauver de la "vie à expier" en bénissant le nom des fleurs et des herbes, de l'ombre et de la lumière. La langue en ses balbutiements épris du ciel retrouve "l'incroyable douceur que peut avoir le monde". Le bonheur est à portée du désir si incertain soit-il. Passe un sourire de Joconde quand le temps vire à la neige. Passent aussi des femmes qui [rehaussent le calme des chambres] et [oublient soir après soir le souvenir de leur beauté]. Pourront-elles repousser les murs du crépuscule "qui font tourner en rond" ? En quelle attente ?

Une fois encore, Michel Bourçon nous offre un recueil tout en retenue et au plus près de la simplicité élémentaire pour dire l'universelle fragilité de la conscience d'être. Il est, en ce sens, un philosophe autant qu'un poète, l'un des meilleurs d'aujourd'hui.


Extraits :

l'oiseau révèle le monde

à lui-même

par ce qu'il inscrit

dans le sable

ou à l'ombre des nuages

*

seul

avec le jour impondérable

notre visage s'efface des vitres

frappées par la pluie

on retourne sur nos pas

sans retrouver notre ombre

on ne reconnaît rien

comme si on avait englouti le monde

et ignoré superbement

ne parlant plus à personne

en notre bouche

confisent les mots les plus simples

*

nos sentiments sont

comme une neige

qui nous emplit

de sa chute dense et muette

nos paroles sont traces

de pas d'oiseaux dans cette blancheur

nos cris s'ensevelissent en nous

étreignent le vide

dans cette saison blanche

qui s'accumule en nous


Le vent souffle sur nos traces depuis toujours de Michel Bourçon est publié aux éditions Aux cailloux des chemins. Il coûte 12 €.


vendredi 24 septembre 2021

Pierre Rosin, POEdioTIES


Dans ses POEdioTIES, Pierre Rosin endosse le costume de l'idiot confronté à la banalité du "baluchon dans la machine à laver" et des galeries marchandes, de la première 4L d'occasion et du potager abandonné à ses plaintes. L'idiotie est peut-être ici une volonté de dissoudre le flou en retournant aux sources de l'entendement. "Vous me pardonnerez ma bouche de travers et mes idées confuses", écrit Pierre Rosin dès le premier poème. "Perdu éperdu", [sa voix de contre dérape parfois]. Sans doute y a-t-il en lui quelque chose du prince Mychkine qui ne sait pas trop comment se dépêtrer de l'ordinaire et des mots de guingois. L'idiome de l'idiot n'est jamais sûr pour désigner et énoncer. "Il est temps pour moi de laisser courir les mots sans le tourment de perfections illusoires et hors d'atteinte", note-t-il dans son dernier texte.

Le flou, frotté à l'émeri des choses de la vie, éclaire un peu le chemin qui reste, entre douceur et amertume. Un humour caustique en fait souvent le sel. "Lorsque mon corps s'effondrera ma spiritualité aura de la polyarthrite et le souffle court".

Les souvenirs de jeunesse ont cependant gardé l'haleine fraîche. Le lecteur effeuillera la marguerite avec Ninon et Eléonore puis sourira à [l'attachement pour Ariane perdu au fil du temps]. Avant de partir à l'assaut des étoiles. "Accessoiriste à la maison de la poésie" de Poitiers dans un méandre du Clain, Pierre Rosin bricole aussi les grains de poussière des galaxies. Pour un voyage sans retour à bord du vaisseau Les enfants d'Argos. Et si l'avenir ne tient pas ses promesses, des "géopatachercheurs" amateurs de Boris Vian trafiqueront le passé avec leur "quartz hématoïde artificiel grand comme deux immeubles".

Egalement peintre, Pierre Rosin propose au détour de ses vers une douzaine d'oeuvres où s'emmêlent des corps invertébrés, dont un ange aux ailes de feu. Quelques sédiments de vieux jaune avec çà et là quelques dépôts de vert ou de gris évoquent aussi "notre langage hors les mots", hors les formes.

POEdioTIES de Pierre Rosin est publié aux éditions du Petit Véhicule et coûte 25 €. Prix justifié par la belle qualité de l'ouvrage.

samedi 28 août 2021

Penser avec le flou (en cours)

Le principe d’incertitude imposé à l’humanité depuis ses commencements est de moins en moins accepté de nos jours. Les peurs qu’il engendre conduisent plus que jamais les humains à chercher des signes supposés annoncer un avenir probable ou conjurer le mauvais sort. Les sondages, les modélisations mathématiques sont les auspices et les haruspices de la modernité. La pensée dite rationnelle recule quand la peur liée à l’incertitude gagne du terrain. Les croyances qui lui sont conjointes, y compris dans le domaine scientifique,
altèrent la faculté de juger (par soi-même et contre soi-même). Les idéologues de toute tendance s’agrippent à leurs prérequis comme l’anatife à son rocher au point d’embrasser parfois les dérives les plus dangereuses (transhumanisme, survivalisme, suprématisme, complotisme). Il n’y a là rien de nouveau au regard des phénomènes invariants de l’histoire.

Interrogeons cependant l’effacement progressif du principe d’incertitude depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et l’avènement du développement économique et social jusqu’aux années 1990 dans les pays les plus avancés. L’assurance de vivre plus longtemps en bonne santé et en paix grâce aux progrès technologiques, couplée à celle d’accéder facilement à des biens de plus en plus nombreux, a endormi le sens critique de la majorité des citoyens. La mondialisation heureuse, selon le dogme libéral, allait signer la fin de l’histoire sous l’estampille du risque zéro. Ou, à l’opposé, selon le dogme marxiste, la révolution allait ouvrir à tous les portes de la Cité radieuse.

L’actuelle crise écologique et sanitaire a mis un terme provisoire à ces utopies individualistes et collectivistes. Le principe d’incertitude revient brutalement au-devant de la scène et plonge les sociétés dans le désarroi. L’espérance de vie en bonne santé régresse. La promesse d’un avenir meilleur se rétrécit comme peau de chagrin. Les terrorismes religieux gangrènent la planète entière. La tentation du repli identitaire et la désignation de boucs émissaires traversent tout le corps social. Les prophètes du bonheur en kit comme ceux du malheur programmé par des instances occultes produisent à la chaîne des charabias qui déroutent l’entendement.

 

2

Essayons, avec le secours de la philosophie, d’en démonter les engrenages qui mènent au naufrage de la pensée complexe. L’émotion du désarroi, d’autant plus insécure qu’il est diffus, constitue un préalable imaginaire à la perception des phénomènes et biaise les liens de cause à effet. Ainsi, Nietzsche écrit dans Le gai savoir : « Comment une interprétation saurait-elle être possible si, de toute chose, nous faisons d’abord une image, notre image ? » Le phénomène perçu subit un double rétrécissement. Par une représentation pré acquise de son objet et une assimilation au sujet qui le perçoit. Les liens de cause à effet, qu’il faudrait inscrire dans le vaste empan des continuités multiples, sont réduits à un [morcellement arbitraire de quelques parties isolées].

Cet arbitraire dénoncé par Nietzsche comme invalidant toute idée de logique est prêt à toutes les manipulations pour imposer sa raison univoque, y compris celle du négationnisme. Dans sa Métaphysique, Aristote brocarde les Pythagoriciens qui comptaient tout par dix au point d’en faire une théorie universelle. Lorsqu’un élément manquait dans leur perception du réel, ils l’ajoutaient en prétextant qu’il était invisible. Le système solaire ne comportant que neuf planètes, ils en inventèrent une dixième baptisée anti-Terre.

Certains scrutateurs de statistiques procèdent de la même façon dans la quantification de la crise sanitaire. Ils prétendent démontrer que le nombre des décès est volontairement surévalué par les autorités. Ils réduisent la recherche aux données les plus propices à leurs présupposés et construisent un réel excluant. Quelques éléments soumis à l’effet de loupe ne permettent aucune émergence d’une vérité générale (si tant est qu’il puisse en exister une) mais renforcent les croyances. On croit d'autant plus qu’on devine qu’aucune vérité n’est jamais sûre.

 

3

La pensée ainsi dépouillée de sa complexion ressemble à une substance molle fertile en récits souvent chimériques. L’actuelle controverse scientifique au sujet de la crise sanitaire, avec son grésil perpétuel d’avis contradictoires, en témoigne. Elle rappelle d’abord que toute connaissance, spécialisée ou profane, est limitée par une ignorance. Avec cette interrogation corollaire : un ensemble de connaissances constitue-t-il de fait un savoir complexe ? En un deuxième temps, elle illustre la fragilité du vrai, notamment dans une période de trouble des représentations aux plans politique et social. Les affects entravent la raison impuissante à s’emparer de son objet. Ils se substituent au débat scientifique pourtant nécessaire dans ses opacités comme dans ses transparences. Des sachants prétendent « avoir vu ce que personne n’avait aperçu, pensé ce que nul n’avait pensé » (Hannah Arendt dans La liberté d’être libre) et font parfois chorus aux citoyens suspicieux. Les vieux apophtegmes reprennent du service : « On nous ment depuis le début. Le gouvernement nous vend à l’industrie pharmaceutique. La corruption est généralisée. Toutes les mesures prises sont inutiles et préparent une dictature par la peur, ouvrez les yeux et résistez… » Nous entrons avec ces sentences dans la pensée du soupçon global. Elle est très dangereuse au plan des valeurs morales. La suspicion finit par n’épargner personne. Si les chefs de service en milieu hospitalier sont tous corrompus, les petits chefs aussi, et peut-être même le généraliste du quartier. Si les ministres sont tous pourris, les directeurs de cabinet puis les secrétaires généraux, puis… Qui, alors, pour défendre le plus grand bien commun si le mal contamine tous les rouages des institutions ? Et de quel mal s’agit-il, avec quelles intentions ? Du soupçon global à la défiance globale, le chemin est très court. Comme l’écrit Cynthia Fleury dans Ci-gît l’amer, le ressentiment colonise le sujet à tel point que ni sa pensée ni ses émotions ne parviennent à s’en déprendre. Avec tous les risques afférents pour la communauté humaine.

 

4

Cet effondrement de la pensée complexe et de son aptitude à tisser des liens entre les êtres et les idées n’est cependant pas une fatalité. Les postures totalitaires et les attitudes nihilistes qui font fi des temporalités historiques en amalgamant le Tout et le Rien peuvent être contrées. (Pour mémoire, rappelons que les uns comparent le couvre-feu sanitaire à l’Occupation allemande  et les vaccinodromes à des camps de concentration quand d’autres en appellent à la révolution en faisant table rase du passé.) Le bilan de ces deux tendances est connu ; les fosses communes du vingtième siècle en frémissent encore. Il faut donc procéder à une révision de soi. Sans négationnisme ni réductionnisme. Réinterroger dans la banalité les perceptions, les émotions, les sentiments et les croyances ainsi que les interactions qui en assurent le fonctionnement. C’est un travail de la volonté, de l’endurance et de la modestie. Il commence en soi et autour de soi dans la sphère privée avant de s’étendre à la sphère publique. Lui seul peut, éventuellement, construire une liberté avérée. Devenue vraie par l’expérience et donc partageable. L’outil de la langue ordinaire, il faut le dire et le redire, tient un rôle prépondérant dans cette révision. Myriam Revault d’Allones écrit dans La crise sans fin : « une conscience de crise, si aiguë soit-elle, n’est pas vouée à s’énoncer par la prolifération des discours de l’impuissance et de la fin… Le discours métaphorique a trait à un horizon de sens inexprimé au sein duquel l’homme doit se mouvoir et s’orienter, de façon pratique et pragmatique autant sinon plus que théorique ». La métaphore est en effet un mouvement, un transport, comme le temps et l’espace eux-mêmes, et elle permet de s’extraire du flou inaugural. Dans le commun de ce qui est vécu.

 

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Le flou inaugural signe les commencements de l’humain, individuellement et collectivement. Le nouveau-né ne voit guère au-delà de son visage. Il ne distingue bien les couleurs et le relief des objets qu’au sixième mois. Sa vision sera mature vers l’âge de cinq ans. L’extraction progressive du flou relève ici de la formation du cerveau et du système nerveux mais ne concerne pas que les perceptions. L’enfant grandit aussi avec le flou dans le domaine des émotions et du langage et ses expériences s’y confrontent.

Il en va de même pour les sociétés humaines quelles qu’elles soient, premières ou plus tardives. De leur avènement à leur disparition en passant par les ruptures dans leur temporalité historique. Les événements, quand ils n’ont pas de précédents apparents, sont perçus de façon parcellaire. Ils ne peuvent être éclairés par une connaissance qui permettrait d’en dissoudre le flou. Quand ils ont des précédents identifiables comme des causes possibles, et même si une connaissance parvient à les circonscrire, le flou reste présent sous une forme atténuée. Les effets hypothétiques relèvent d’une construction elle-même floue. Le réel n’est pas un ensemble de pièces qui s’emboîtent comme celles d’un puzzle. Certains espaces en recouvrent d’autres. Certaines durées sont traversées en deçà ou au-delà d’un instant donné. On ne saurait les classer dans tel ou tel domaine sans tomber dans le piège de l’interprétation abusive. La crise sanitaire, qu’on la surévalue ou qu’on la sous-évalue, est fertile en exemples pour exprimer ce flou qui induit en erreur. Une zone géographique est souvent débordée par une zone économique ou climatique avec des mobilités différentes selon les usages. De même, faut-il le rappeler, le temps de l’actualité n’est pas celui de l’histoire qui n’est pas non plus celui de soi. Concrètement, poser le même regard et les mêmes mots sur la situation dans les Alpes maritimes et en Lozère est infondé. D’autant qu’à l’intérieur de ces territoires, des zones particulières exigent un examen plus affiné voir en des termes différents. Le flou est nébuleux comme l’azur. L’infinité de ses points ne fait image que dans l’imaginaire.

 

6

Les réels enchâssés dans le réel rendent complexe la dissolution du flou. L’observateur modeste, qui garde à l’esprit le principe d’incertitude, réalise que son travail d’élucidation ne sera jamais totalement abouti. Et c’est en s’accordant à cet inachevé qu’il pourra mettre en œuvre une pensée complexe. Avec obstination. Mais comment faire ? Par où commencer en soi ? Dans son roman Le problème Spinoza, Irvin Yalom fait dire au philosophe : « Le polissage des lentilles favorise la réflexion. Je suis très concentré quand je travaille sur le tour, sur l’angle et le rayon du verre. Pendant ce temps-là, les pensées germent dans mon esprit à une vitesse telle que souvent, j’ai à portée de main une réponse nouvelle à un débat philosophique épineux. Et cela sans que j’y aie prêté une attention particulière. » La banalité du geste sans cesse remis sur l’établi de la patience favorisera, qui sait, le surgissement de la pensée à l’état brut. S’affinera-t-elle au fur et à mesure que le verre gagne en transparence, la main et l’esprit ne faisant qu’un seul mouvement ? Qu’elle soit une pensée flottante est en tout cas déterminant. Flotter dans le flou, sans intention portée par une méditation trompeuse, constitue un préalable fécond. Ne pas chercher à se déconnecter de soi, se déprendre, se « désappartenir ». Se laisser au contraire traverser par la banalité y compris ses zones d’ombres. Revenons-en à Spinoza dans son Ethique (De l’esprit) : « Il ressort clairement que nous percevons de nombreuses choses… à partir des choses singulières qui nous sont représentées par les sens d’une manière mutilée, confuse, et sans ordre valable pour l’étonnement. C’est pourquoi j’ai l’habitude d’appeler ces perceptions : connaissance par expérience vague. » Il est raisonnable de supposer que le corps occupé à des gestes répétitifs favorise et stimule cette expérience. De nombreux philosophes ont autrefois pratiqué régulièrement la marche. Naguère encore, Peter Sloterdijk pédalait sur son vélo dans les Alpes provençales. Marcher ou pédaler, c’est avancer. Piétiner dans le flou serait stérile. Il faut s’en extraire avant de le dissoudre. Faire la part des pensées plus sûres et des pensées moins sûres, mais sans revendiquer l’universalité chère à Spinoza car ce concept relève de l’inconnaissable. Ensuite, l’observateur cherchera dans ce partage les espaces d’intersection susceptibles de dégager une vérité naissante. Les éventuels liens de cause à effet s’y trouvent, qu’il ne faudra pas sur-interpréter. De nouveau, la langue doit aborder le problème de l’énonciation logique. Dans son ouvrage posthume Remarques mêlées, Ludwig Wittgenstein observe : « Former le paysage [des] relations conceptuelles à partir des fragments innombrables que la langue nous en offre… je ne puis le faire qu’imparfaitement. » Il faut cependant continuer d’avancer, pragmatiquement.

Essayons, au sujet de la crise sanitaire, d’esquisser un tri entre pensées plus sûres et pensées moins sûres. Par exemple, l’efficacité des hôpitaux dans les pays à service public de haut niveau est supérieure à celle des pays où le système de santé est surtout l’apanage d’intérêts privés. Voilà un constat et une pensée plus sûrs. En revanche, la politique vaccinale, (problèmes d’homologation des vaccins, d’approvisionnement des doses, de ciblage des patients éligibles, de ratio bénéfice/risque voire de géopolitique), relève plutôt d’une pensée moins sûre que la langue dite logique peut égarer. S’il s’agit ici de philosophie, changer de pied pour éviter l’ankylose, comme le dit malicieusement Wittgenstein, peut aider à l’extraction du flou. Changer de pied ou changer l’angle du verre à polir. Avec cette question : La politique vaccinale sert-elle plutôt le plus grand bien commun ou plutôt le gain des laboratoires pharmaceutiques ? Bien sûr, si l’argumentation n’est pas subjective, (privilégiant le « en même temps » au « ou ») s’en suit tout un cortège de questions subsidiaires. Ce plus grand bien commun ne sera-t-il pas acté au détriment d’autres biens communs ? Le bénéfice des laboratoires sera-t-il investi au moins partiellement au profit de la recherche dans d’autres secteurs de l’économie sanitaire ou presque exclusivement dévolu à la rémunération des actionnaires ?

Ces interrogations, du domaine de la morale générale, légitimes pourtant, peuvent conduire à des pensées moins sûres qui ralentiraient l’extraction du flou. La compréhension d’un phénomène et le jugement moral porté sur lui ne s’inscrivent pas dans la même temporalité. Ce dernier, à moins qu’il concerne une action immédiatement condamnable, (violation des droits et libertés humains…), doit être ajourné afin de s’exercer dans la meilleure sérénité possible. Sans ressentiment ou en tenant celui-ci à distance. La vraie sérénité ne se gagne pas en prenant des leçons sur le marché du développement personnel ou en ne jurant que par la pensée positive qui est une escroquerie majeure de notre époque déboussolée. Au contraire, elle se gagne dans l’admission de ce qui manque. Il faut donc le repérer (à défaut de le définir) pour constituer une connaissance de soi plus sûre en gardant à l’esprit qu’elle ne sera jamais complète. Autrement dit, c’est par ce que je ne suis pas ou peu que j’accède davantage à ce que je suis.

 

7

Il s’agit là encore d’un chemin difficile. L’humain s’y embourbe depuis ses commencements. La confusion entre manque d’être et manque d’avoir brouille les tentatives d’élucidation. La langue de la philosophie comme celle de la psychanalyse piétinent dans des oppositions sémantiques qui produisent des réels excluants. Le manque assimilé à une déficience morale éloigne de la sérénité recherchée. Arrêtons-nous un moment au personnage d’Ulrich dans L’homme sans qualités. « Il faut d’abord que l’homme se sente limité dans ses possibilités, ses sentiments et ses projets par toutes sortes de préjugés, de traditions, d’entraves et de bornes… pour que ce qu’il réalise puisse avoir valeur, durée et maturité… », écrit Robert Musil. Le manque est donc un trou avec des bords sur lesquels on peut s’appuyer pour en sortir et agir. Avec toute la détermination que peut conférer la lucidité sur soi dans le monde. La complexité commence à apparaître. Devenu mathématicien après s’être essayé sans satisfaction vraie à plusieurs disciplines, Ulrich déclare : « Ces cent dernières années nous ont permis d’accroître infiniment notre connaissance de nous-mêmes, de la nature et de toutes choses ; mais de là s’en suit que tout l’ordre que nous gagnons dans les détails, nous le reperdons dans l’ensemble, de sorte que nous disposons de toujours plus d’ordres (au pluriel) et de toujours moins d’ordre (au singulier) ». L’homme sans qualités, parce qu’il est sans qualités mais non médiocre, accède plus aisément au principe d’incertitude. Il devine que la précision des parties, extrême dans les spécialités scientifiques, contribue au flou du tout.

 

 

8

L’extraction du flou inaugural n’est évidemment jamais définitive. Ne serait-ce qu’en mémoire, le corps y garde un pied et l’esprit une pensée. L’expérience de vivre, à la fois concrète et abstraite, y reconduit durablement l’humain qui n’en aurait pas conscience. Le flou, peut-être, est un liquide protecteur… Un travail constant de la volonté, trop besogneux, échouerait à le dissoudre. C’est plutôt à la faveur d’une éclaircie de la lucidité qu’un chemin s’ouvrira. Le flou apparaît alors dans toute sa vastitude. Comme un paysage impressionniste. L’étendue des formes et l’étendue des couleurs se disjoignent sous la lumière. Pour en revenir à l’actuelle crise sanitaire, laquelle produit selon Peter Sloterdijk dans Après nous le déluge « un surplus de réel », la méthode de l’orpailleur inversé semble intéressante. La batée immergée dans le flux du flou recueillera la suie qui encrasse l’entendement. L’infosphère, on le sait, en est une grande pourvoyeuse. L’émosphère, on le sait aussi, lui emboîte le pas. Ce surplus au débit permanent et sans aspérités aplatit ce que la banalité a de saillant.

Retrouver les saillances de la banalité est peut-être la première étape de la dissolution du flou. Qu’elles soient un regard ou un geste, un mot plus acéré, un événement dont on s’étonne ou une pensée inattendue, elles trament un organe interstitiel sans lequel rien ne tient du corps et de l’esprit.

vendredi 20 août 2021

L'humilité du professeur Didier Neau

Le Pr Didier Neau est chef de service des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Bordeaux. Il répond, ce 20 août 2021 aux questions de la journaliste Gaëlle Richard pour le quotidien Sud Ouest. Homme de terrain avant tout et observateur scrupuleux des phénomènes, il se réjouit que le variant de Bacalan ne donne plus de ses nouvelles mais redoute que certains variants à venir "ne soient pas sensibles au vaccin". Il reconnaît aussi la liberté de se faire vacciner ou non. 

Il conclut son entretien par ces considérations modestes qui rassurent le lecteur prenant le temps d'ouvrir des chemins à la pensée complexe : " En médecine, en sciences, il faut accepter qu'il y ait des choses que l'on ne maîtrise pas. Evidemment, cette position n'est pas satisfaisante mais cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à comprendre, au contraire. Ce virus est difficile à prévoir, son évolution délicate à modéliser. Nous apprenons tous les jours."

Alors que certains médecins interprètent les statistiques de la pandémie comme les haruspices les foies des volailles et donnent dans la filousophie de carton bouilli, saluons la prudence toute montaignaine de cet infectiologue. 

Et dénonçons avec fermeté, quitte à déplaire ici ou là, le négationnisme sanitaire, ses cris d'orfraie complotiste, ses liaisons dangereuses avec l'extrême-droite et les élucubrations les plus vénéneuses de France-Soir ou Richard Boutry.

Alors que la maison Terre s'embrase jusqu'au pôle nord et que les pires dictatures s'apprêtent à remanier la hache à grande échelle, nous n'avons pas besoin d'histrions ivres d'idéologie qui sèment la peur dans les populations mais d'hommes et de femmes déterminés à panser les plaies des corps et des esprits. 

Nos démocraties ne sont pas parfaites, cèdent parfois à la corruption au plus haut niveau des Etats mais restent cependant le plus grand bien commun à partager. Carlos Fuentes écrivait que la liberté est un travail à remettre sans cesse sur l'établi des jours. Le professeur Neau fait partie de ces travailleurs tenaces et lucides. 

Merci Monsieur pour vos propos loin des estrades.

Photo du professeur Neau, Sud Ouest 20 août 2021

mercredi 11 août 2021

Emmanuel Damon, Regain du sang

Regain du sang d'Emmanuel Damon est un recueil de poésie composé de neuf ensembles. Des proses de forme classique alternent avec des poèmes allant de cinq vers à trois pages, d'une facture plus contemporaine.

Le titre générique est extrait du premier ensemble Avant boire. Il sécrète de subtiles résonances entre ombres et lumières ("L'obscur de la chambre n'oublie rien du ciel") avec le regain du monde où [on s'enchante d'une éclaircie].

Ce recueil est empreint tout du long d'une mystique inaugurale "d'avant naître", revisitée sur les chemins de la soif et de la faim. Les éléments premiers qui constituent le monde, sans cesse à l'épreuve de la langue peu sûre, fécondent le regain de l'être en son désir de gaieté puis de joie. Il s'agit d'une quête exigeante où intériorité et extériorité travaillent voire fatiguent les failles de l'écriture. "Nous avons perdu le sens de nos phrases", écrit Emmanuel Damon dès son premier texte. Plus loin, [notre langue immobile éteint les mots dans nos gorges]. "Esseulée" ou non, traversée de lassitudes ontologiques, elle n'en fait pas moins mouvement vers les paysages dans tous ses états, ceux d'ici ou de l'autre côté des mers, à l'ombre de "bois-mourir".

Les clameurs minérales du sable et de l'argile, du charbon et du granit, tour à tour fragiles et puissantes, disent avec la "clameur végétale" de l'orge ou du peuplier la patience venue de l'impatience, la tentation de l'ascétisme après la prodigalité.

L'écriture d'Emmanuel Damon, en ses longs déplis comme en ses pointes sèches, fait parfois écho au symbolisme élémentaire de Saint-John Perse, avec des accents oratoires. Quelles prières seront finalement exaucées dans le tumulte des saisons ? Les mots en garderont-ils seulement le moindre souvenir ?


Extraits :


Non pas l'orage

Mais ce feulement dans l'air

Qui tinte et sonne sur les tuiles

Rien qu'on ignore quand le ciel prend souffle

Et d'un coup dont l'écho dans les sapins s'embrase

N'est plus que pluie cette eau chantée

Qui porte joie au sol amer aux ronces

A la route plus sombre

Aux flaques sevrées de boire

Le merle la mésange dans le bois de lauriers

Où denses les feuilles sont un toit de passage

Rendent grâce au ciel brisé vivant soudain

De n'être plus acier éblouissement

Poussière

*

Quand la faim brûle

Sans autre charbon que le feu ce sang tari

On ne sait où commence le silence de quel bois

Est cette étreinte qui saisit les os et nous tient

Sans vêtement sans armes sous le linteau de chêne pur

Tandis que l'horizon s'accroît

*

Eparpille la tempête, glane le fer au-dedans et la soie des livres, et la soie du ventre pour parler bas aux saisons : ta patience sera merveilleuse. Ailleurs les mots tarissent, la mer est immobile, le vent ne tinte que de paroles anciennes. On laissera le garde-manger ouvert, fenêtre de pain chaud pour le jour qui tarde à donner sa mesure.


Regain du sang d'Emmanuel Damon est publié aux éditions Al Manar avec des gravures signées Hubert Damon. Son prix de 19 € est justifié par la belle qualité de l'ouvrage.

jeudi 5 août 2021

Brigitte Giraud aux Voix Vives de Sète, 2021, (fin)

 A Sète, poète ou pas poète, il messied d'avoir le mollet trop mollet. La ville est pentue. Dans les jardins du musée Paul-Valéry, on a la tête dans les nuages et... les jambes dans les maringouins. Claudia Christiansen, assise en tailleur sur l'estrade, lia avec bonheur ses notes presque silencieuses aux mots de Brigitte Giraud. Danoise ayant vécu en Argentine où elle accompagna Mercedes Sosa, elle chanta aussi en grec à la demande du public. 


Puis ce fut,


déjà, le vendredi 30 juillet. Josyane de Jesus-Bergey présenta, parmi d'autres, Brigitte Giraud et Sabine Venaruzzo. Cette jeune poète imprécatrice enfila des gants de boxe et s'enveloppa dans une tunique rouge pour brutaliser la langue, avant une étreinte émouvante avec Hamid Tabouchi venu d'Alger. 

Le lendemain, dernier jour du festival, Guy Allix et Brigitte Giraud croisèrent leurs vers dans la cour du temple protestant de la rue Maurice Clavel, sous l'ombre attendrie d'un olivier multiséculaire. 

Et le vent se leva. Electrisa la pluie sur le kiosque de la place Aristide-Briand. Le ciel, sans doute, aurait voulu que la fête continue. Il fallut aider la violoncelliste Catherine Warnier dont les partitions souhaitaient prendre le large. La jeune Espagnole chargée du son s'inquiétait pour ses appareils qui craignent l'eau. Quelques SDF un peu bruyants acceptèrent de parler plus bas et ce moment fut réussi comme les autres. 

Enfin, la soirée de clôture dut affronter un froid de gabian et même les palmiers s'en émurent. Le public, environ 300 personnes, se clairsema au bout d'une heure. Mais la ferveur a tenu le coup. Serge Pey, Sapho, Wafae Ababou, Zahra Mroueh, Rim Battal, Sabine Venaruzzo et Brigitte Giraud ont su composer avec les éléments déchaînés. 

La joyeuse troupe des preneuses de son, sous la houlette de Claudia Christiansen, a chanté Guantanamera et Maïthé Vallès-Bled a reçu des mains de Guy Allix un bouquet de fleurs ainsi que des applaudissements plus que mérités.

Ce festival des Voix Vives 2021 a été aussi marqué par de nombreuses rencontres. Pierre Rosin, passeur de poésie à Poitiers et de pacalo bien frais, Luc Vidal des éditions du Petit Véhicule et admirateur de René Guy Cadou, Alain Gorius des éditions Al Manar ouvertes à toutes les langues de la Méditerranée et partenaires du festival, Carole Mesrobian animatrice de la revue numérique Recours au poème avec Marilyne Bertoncini et lectrice au Patio de la rue Bazille de son recueil Octobre, Josyane de Jesus-Bergey poète et animatrice qui résiste vaillamment à la fatigue, Saray Hernandez étudiante en linguistique en France et en Colombie.

Puis Christine, une amie d'Alain Gorius qui fut urbaniste et, tenez-vous bien, connaît par coeur plusieurs centaines de poèmes. Elle fréquente régulièrement la maison de la poésie à Paris et les Lectures sous l'arbre des éditions Cheyne à Chambon-sur-Lignon. Jaccottet et Gracq font partie de ses querencias, parmi d'autres. Alain Gorius, facétieux, l'appelle tendrement Fahrenheit 452...

Enfin, les amis Nathalie Séverin et Christophe Sanchez sont venus de Montpellier. Une journée agréable en leur compagnie et le Pic Saint-Loup succéda avec bonheur au pacalo. Même les frites gloussaient de plaisir.

Photo 1 : Les mots de Brigitte Giraud claquent dans le vent

Photo 2 : Sabine Venaruzzo boxe la langue

Photo 3 : Catherine Warnier chuchote à l'ouïe du violoncelle