rue Achard, 1
Une fenêtre dans un mur. Haute et seule. Elle donnait sur la chambre d'un veilleur, sur un bureau peut-être, avec une ampoule nue dans les deux cas. Le regard imagine volontiers cette ampoule nue tant le mur lui-même, au fil des ans, a fini de se dépouiller de tout. Je pense invariablement à la solitude, à la solitude en général, quand je croise cette fenêtre aperçue depuis le tram de la ligne B. Les barreaux qui l'enrobent ont l'aspect famélique de l'abandon. Personne n'est venu là ces dernières années. Personne ne viendra jamais plus.
L'ampoule nue, si elle existe vraiment, trop lourde des poussières accumulées, ne fera aucun bruit en éclatant sur le sol. Mais je la sens vibrer dans mon corps, peser sur ma respiration. Une ampoule. Une fenêtre dans un mur condamné à l'abattage. La solitude devient autre chose qu'une idée qu'on rumine. Pour peu que la lumière soit basse sur le paysage et qu'une mauvaise pluie vienne la salir, la solitude se prend à mes gestes, à mon souffle, à mon ombre. Je regarde ailleurs. Le tram qui se tortille. J'écoute le joyeux babil d'une bande de jeunes filles qui ont acheté des robes et des jupes. Mais je sais que je reviendrai à cette fenêtre, et que je m'y verrai accoudé, un verre ou une cigarette à la main. Je ne serai ni triste ni seul. Je ne désirerai rien. Je ne chercherai rien non plus. Il me suffira de veiller, et de veiller encore, jusqu'au vertige.
place Saint-Seurin, 1
Un square avec une vasque sans eau au milieu. Je viens là tous les lundis à seize heures quarante-cinq. Je ne regarde ni la basilique ni l'aire de jeux pour les enfants. Je dédaigne une tombe qu'il me plaît de déclarer mérovingienne. Seule, une petite armoire vitrée vissée au sol m'intéresse. C'est un coin lecture dressé là par les habitants qui aiment les livres. De vieilles reliures au dos perclus, des plus jeunes à peine cousues. En tout, quoi, une cinquantaine d'ouvrages. Du populaire, du régional. Une pincée de livres en club pour les abonnés à des hebdomadaires. Un roman ado dans le fatras. Deux ou trois revues d'occasion.
Une main, mais laquelle, arrange un peu le présentoir. Il me plairait que ce fût au petit matin, quand alentour les appartements cossus dorment encore. Il me plairait qu'elle y glissât quelque ouvrage de grande littérature. Un Beckett, un Duras, sauraient m'étonner de leur présence. Mais ce n'est pas cette main-là que j'imagine. J'en vois une autre, furtive ou déterminée, qui ouvre l'armoire comme si c'était une écritoire. Une main qui va lire peut-être et qui écrit déjà. Une main d'étourneau qui a débranché son téléphone ou celle, tavelée, d'une veuve venue là tromper l'attente. Je ne regarde pas les titres alignés. Je regarde la cabane où sont les toilettes. Je vois scintiller le mot "libre" à l'entrée. Je souris. Ma montre me dit que j'ai encore cinq minutes avant mon rendez-vous. Le temps d'une cigarette. Le temps d'un regard circulaire autour de la place, de la basilique et de la tombe absolument mérovingienne. Là aussi, à cette tombe, je reviendrai.
Une fenêtre dans un mur. Haute et seule. Elle donnait sur la chambre d'un veilleur, sur un bureau peut-être, avec une ampoule nue dans les deux cas. Le regard imagine volontiers cette ampoule nue tant le mur lui-même, au fil des ans, a fini de se dépouiller de tout. Je pense invariablement à la solitude, à la solitude en général, quand je croise cette fenêtre aperçue depuis le tram de la ligne B. Les barreaux qui l'enrobent ont l'aspect famélique de l'abandon. Personne n'est venu là ces dernières années. Personne ne viendra jamais plus.
L'ampoule nue, si elle existe vraiment, trop lourde des poussières accumulées, ne fera aucun bruit en éclatant sur le sol. Mais je la sens vibrer dans mon corps, peser sur ma respiration. Une ampoule. Une fenêtre dans un mur condamné à l'abattage. La solitude devient autre chose qu'une idée qu'on rumine. Pour peu que la lumière soit basse sur le paysage et qu'une mauvaise pluie vienne la salir, la solitude se prend à mes gestes, à mon souffle, à mon ombre. Je regarde ailleurs. Le tram qui se tortille. J'écoute le joyeux babil d'une bande de jeunes filles qui ont acheté des robes et des jupes. Mais je sais que je reviendrai à cette fenêtre, et que je m'y verrai accoudé, un verre ou une cigarette à la main. Je ne serai ni triste ni seul. Je ne désirerai rien. Je ne chercherai rien non plus. Il me suffira de veiller, et de veiller encore, jusqu'au vertige.
place Saint-Seurin, 1
Un square avec une vasque sans eau au milieu. Je viens là tous les lundis à seize heures quarante-cinq. Je ne regarde ni la basilique ni l'aire de jeux pour les enfants. Je dédaigne une tombe qu'il me plaît de déclarer mérovingienne. Seule, une petite armoire vitrée vissée au sol m'intéresse. C'est un coin lecture dressé là par les habitants qui aiment les livres. De vieilles reliures au dos perclus, des plus jeunes à peine cousues. En tout, quoi, une cinquantaine d'ouvrages. Du populaire, du régional. Une pincée de livres en club pour les abonnés à des hebdomadaires. Un roman ado dans le fatras. Deux ou trois revues d'occasion.
Une main, mais laquelle, arrange un peu le présentoir. Il me plairait que ce fût au petit matin, quand alentour les appartements cossus dorment encore. Il me plairait qu'elle y glissât quelque ouvrage de grande littérature. Un Beckett, un Duras, sauraient m'étonner de leur présence. Mais ce n'est pas cette main-là que j'imagine. J'en vois une autre, furtive ou déterminée, qui ouvre l'armoire comme si c'était une écritoire. Une main qui va lire peut-être et qui écrit déjà. Une main d'étourneau qui a débranché son téléphone ou celle, tavelée, d'une veuve venue là tromper l'attente. Je ne regarde pas les titres alignés. Je regarde la cabane où sont les toilettes. Je vois scintiller le mot "libre" à l'entrée. Je souris. Ma montre me dit que j'ai encore cinq minutes avant mon rendez-vous. Le temps d'une cigarette. Le temps d'un regard circulaire autour de la place, de la basilique et de la tombe absolument mérovingienne. Là aussi, à cette tombe, je reviendrai.
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