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vendredi 31 janvier 2020

Je marche dans la foule



Je marche dans la foule pour tromper
Quelque chose dans ma conscience
Résultat de recherche d'images pour "anselm kiefer"Je marche jusqu’à la fatigue
Qui n’a pas de rivage sûr
J’en reviens avec des mots sans tenue
Ils ne portent rien du ciel bas
Sur mes épaules
Ils se refusent à moi comme un visage
A peine entrevu dans la marche
Il faudra de grandes patiences
Pour apprivoiser le flou

Des pas qui ne sont pas les miens
Me conduisent à l’écart de la foule
Une grille grince et ternit la lumière
J’entre dans le jardin des arbres
Penchés
Cette expression-là immédiate
Le jardin des arbres penchés
De quel souffle m’est-elle venue
Une beauté un peu triste d’amour
Se sera confiée aux frondaisons
Reflétées dans l’étang
Et le paysage tout entier s’est lesté de
Plomb


Résultat de recherche d'images pour "anselm kiefer"Je regarde un caillou rue de l’ormeau mort
L’entour s’efface lentement
Dans les rumeurs de la ville
Mon corps même pourrait disparaître
Avec les mots qui lui manquent
Depuis quelle présence parle ce caillou
Sa lumière a-t-elle une consistance
Que mes doigts aimeraient toucher
Je reste interdit par ces questions usées
Une sirène en contrebas enfin me délivre
Mon corps retrouve le fil de la marche
Une beauté à long cou passe au large
Avec d’autres mystères


La solitude du chien sous la pluie
Et mes pas perdus dans les suints
De la foule qui penche
Seule une langue ébréchée
Ouvrira une issue
Mes enfances le devinent encore
Dans le miroir des choses
Elles répondent à des noms qui ne sont pas les leurs
Et biaisent ma mémoire
Comme la pluie biaise mon chemin
Je sens mes gestes lentement se défaire
Jusqu’à devenir une idée
Sans plus de consistance
La relève du réel attendra un autre corps


Je marche le long des berges hautes
Et le ciel est plus léger sur mon épaule
Un peu de joie me traverse
Au passage d’un oiseau vers l’autre rive
Des boues surgies des profondeurs
Ont de sombres luisances
D’avant le monde
Quand la langue n’était encore qu’un cri
Plus loin le trait bleuté d’un train
Est soudain si fragile
Le paysage n’est pas un lieu sûr
L’oiseau pourrait tomber de fatigue
Si la lumière était trop basse
Ma joie frissonne dans le soir qui vient
Ma peau ne contient plus sa peau

Anselm Kiefer slash-paris.com et guggenheinm-bilbao.eus

mardi 24 octobre 2017

Ce qui reste

Résultat de recherche d'images pour "restes"Ce qui reste sur le sable
De la dépouille des pas
Ce qui reste dans l'écho
De la mémoire du cri
Ou du bois et de la pierre
Qu'on garde pour tenir
Dans la lenteur des jours
Litanie des matières
Au corps à corps
Avec le suint des ombres
Où la vie et  la mort se travaillent
Le grain des mots l'atteint si mal
La lumière qu'on voudrait saisir
Est plus farouche que l'oiseau
Le poème  ne rassemble rien
Des restes épars
Qui diraient l'en allé
Les gestes perdus
Les regards simples
Les joies qu'on n'a pas su prendre
A la table du peu
Où l'invisible pourtant se présentait
La peau se tasse sur ses plis
Le sang tourne à l'aigre des regrets
La langue même est un déchet
*
A la table des restes
Dans la poix du silence
Quand tout a été dit de l'impuissance
Le regard n'invente plus rien
Il faudrait s'ouvrir à l'oubli
De la peau et du sang
Dormir enfin tout ce qu'on n'a pas dormi
Mais on tient comme une bête
Dans l'effroi du sillage
On est soi-même un reste
*
L'ennui prend la mesure
Des traces livrées au regard
Petits passages du vivant
Dans sa durée fragile
Os et cendres pétris
Avec les humeurs des corps
Quand ils n'ont plus de visage
Repentirs de copeaux
Sur l'impossible chantier des jours
La pensée aussi dégorge de la sciure
Avorte le poème
*
On n'aura rien nommé
Des mystères qui traversent
L'épanchement des corps
Rien apprivoisé des gestes
Nécessaires au chemin
On n'aura  connu que la marche des bêtes
Langue coupée

Toute trace déjà recouverte

(Ces texticules ont été publiés dans la revue numérique Ce qui reste du temps où elle m'était ouverte grâce à Vincent Motard-Avargues. Je vous les livre sans retouches.)

mardi 17 octobre 2017

Un enfant passe sur l'autre trottoir

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Longtemps tu t'en souviens
Tu n'as pas reconnu mes pas
Dans la ville
Tu ne comprenais pas cet épuisement
Que je voulais t'offrir
Pour que la douleur parle

*

Parfois lever la tête hors de la marche
Une distraction fugitive
Aperçue dans le ciel
Quoi au juste qui pourrait me retenir
Mon chemin est en bas
Avec toi
A gémir sous nos semelles
Lui qui ne ment pas

*

Un enfant passe sur l'autre trottoir
Je ne croise pas dans ses yeux
Le marcheur que je m'applique à être
Il va quelque part
Si vite

*

Suis-je cet arpenteur
Dont les pas voudraient capturer l'infini
A quelles démesures mon corps s'oublie
Notre vie a si peu tenu
A l'aune du hasard

*

Renoncer au quatrième mille
Se laisser aller à l'heure
Qui tarde à fuir
Derrière la vitre d'un café
Ecouter vibrer des paroles qui ont été les nôtres
Mais reconnaître quoi vraiment
Dans l'immobilité
De l'air

*

Continuer donc
Tout au long de la marche
A poursuivre l'invisible
Une lumière évanouie
Aussitôt qu'on l'attrape
Un silence demeuré en nous depuis trop longtemps
Mort qui sait
De s'être tu

*

Apercevoir encore
Le marcheur que l'on a reconnu
Car on ne s'est pas trompé
C'est bien le même homme qui marche
Comparer l'allonge des bras
Pendus aux corps
Après toutes ces heures vides
Se dire qu'on est plus léger dans notre souffrance
Se prendre pour un papillon


(Toujours ce recueil inédit de 1997. Un jour, si je terrasse la lassitude, je le proposerai peut-être, après reprises et retouches bien sûr. Car certains mots ne sont plus dans leur exacte justesse. Ils ont glissé.)

(photo du blog paradis bancal de Brigitte Giraud)




mardi 10 octobre 2017

Grand-mère aux dents vertes

                                   I

Résultat de recherche d'images pour "sorcière de goya"Le temps est derrière moi
Grand-mère aux dents vertes
Qui chantait sa complainte aux bords du sommeil
Je presse le pas
Sous l’aiguillon des souvenirs
Qui tiennent encore contre la brume
Je sens sur ma nuque
Le souffle des enfances inventées
Une horloge pourrait sonner là dans la marche
Une maison naîtrait aussi
Avec un père et une mère
Accordés au pain du jour
Un volet battrait la mesure
D’une attente sans nom
Mais comment me retourner
Sur ce qui n’a pas de visage

                                   II

Le temps perd en moi
Le grain des instants
Mon chemin ne trouve plus son chemin
Je regarde la ville suspendue à mes paupières
Avant la sirène de midi
Des lumières improbables
Y jettent des signes mouillés
Ils n’ont pas de rumeur sous mes semelles
Quand la marche s’évanouit
Dans la fatigue
Je cherche à saisir les minutes
Qui vont avec le sang
Qu’elles portent encore un peu
Ce qui me reste de conscience
Il faudrait courir et abolir la chute
Devenir vol d’oiseau ou de papillon
Mordre à pleines dents
Un bout d’éternité

                                   III

Le temps est devant moi
Dans un corps qui n’a plus ses lieux sûrs
Ligne sans replis où étouffer l’attente
Le sang à découvert du sang
Et battre une vaine mesure
Qui invente encore mon chemin
J’entends que me reviennent
Les chansons vertes de l’enfance
Et le tintement sombre des pendules
Dans la fièvre endormie
Ma peau prend le vieux grain
Des vieilles heures
Toute une mémoire à porter debout

Jusqu'au silence

(Je retrouve ça par hasard ; il y aurait à bricoler un peu pour parvenir au plus juste. Mais bon. Trop tard.)
tableau de Goya (y lucientes)

jeudi 28 septembre 2017

Mettre ses pas dans les autres pas

Cliquer pour agrandir cette image !
Marcher
Ne rien faire d'autre que ça
Mettre ses pas dans les autres pas
Comme les gouttes de pluie
Se mettent dans les autres gouttes de pluie
S'appliquer à cette marche
Dans le vacarme des heures
Dans le tremblement pressé des yeux morts
Puiser au fond de soi
Ce qui reste de silence

*

Atteindre le passage invisible
Du premier mille
Où luit pourtant l'incertitude du trottoir
Poursuivre encore le mirage de la marche
Jusqu'à saigner notre douleur
Qui ne parlait plus

*

Je marche et je marche encore
Je m'efface dans la lenteur de mes pas
Là est mon salut
Dans l'horizon qui fuit la ville
Cadencé par des foulées trop lourdes certes
Mais quoi
Les semelles de vent ne sont que
Du vent

*

Parfois
Comme une brillance sur le chemin
Le petit bonheur d'une traverse
Un champ posé là au creux du tumulte
Quelques ivraies solitaires et battues
Où souffle une mémoire qui ne dit rien
La nôtre qui sait
Tout entière dans mes pas

*

Chercher
Quoiqu'on s'en défende
Un fil ténu dans la marche
Qui nous tiendra debout
Le plus loin

*

Je ne sais pas si j'éprouve l'ivresse
Du deuxième mille
Quelles heures ont sombré déjà
Dans l'inanité des choses vues
Où puis-je aller encore
Où tu ne serais pas

*

Ici ou là
Au détour de la marche
Quand le corps devient cette mécanique
Où se rôde la fatigue
L'esprit d'un caillou perdu
Soudain m'accable de sa légèreté
Mais comment dès lors
Rebrousser le chemin
Un caillou ne vient jamais seul

*

C'est pour toi que je marche
Et tes pas sont dans les miens
Portés par l'illusion d'une géographie
Qui nous aurait appartenu
Dans cette ville trop basse
Pour nos ailes d'oiseaux
Le souvenir d'un mot
A l'angle d'une rue d'autrefois
Mais était-ce bien ce mot-là que nous avions dit
Le souvenir d'une caresse retenue
A l'ombre d'une vitrine
Mais comment garder la mémoire
De nos gestes

*

Reconnaître parfois
Dans la foule grondante
Un autre marcheur
Une autre solitude dans la solitude
Le désespoir toujours
Qui pousse à l'oubli
Dans le bruit des heures

*

Et le voilà franchi
Le troisième mille
De notre marche
Je n'ai plus que des jambes dans les jambes
Mon corps s'est réduit
Au balancement des pas
Il ne peut plus tomber

*

Tu me dis d'entrer dans ce jardin
Où chatoient des cercles fugaces
A la surface de l'eau
Tu me proposes la rumeur des arbres
Le silence désigné
Des cygnes trop lourds
Mais que ferions-nous de notre mémoire

En pareille laideur


Ces textes font partie d'un ensemble qui date de 1997. Je n'y apporte pas les retouches qu'il faudrait. Une chose dite étant une chose morte selon Artaud.

Photo d'Olivier Roubine, juin 2015. Les Salins de Giraud près de Montpellier. N'hésitez pas à visiter le site de l'artiste qui, je l'espère, ne m'en voudra pas de m'être dispensé de son autorisation. J'adresse avec cette image un clin d'oeil à Nathalie Séverin, Louise Imagine, Claire Musiol, Isabelle Bonat-Luciani, Brigitte Giraud, Philippe Castelneau et Christophe Sanchez.

mercredi 13 mars 2013

Le temps par trois

(Ce texte n'est pas sorti dans la revue Borborygmes qui avait lancé un concours sur le temps je ne sais plus quand. A la relecture, je le trouve cependant convenable, c'est déjà ça. )
 
I
Le temps est derrière moi
Grand-mère aux dents vertes
Qui chantait sa complainte aux bords du sommeil
Je presse le pas
Sous l'aiguillon des souvenirs
Qui tiennent encore contre la brume
Je sens sur ma nuque
Le souffle des enfances inventées
Une horloge pourrait sonner là dans la marche
Une maison naîtrait aussi
Avec un père et une mère
Accordés au pain du jour
Un volet battrait la mesure
D'une attente sans nom
Mais comment me retourner
Sur ce qui n'a pas de visage
 
II
Le temps perd en moi
Le grain des instants
Mon chemin ne trouve plus son chemin
Je regarde la ville suspendue à mes paupières
Avant la sirène de midi
Des lumières improbables
Y jettent des signes mouillés
Ils n'ont pas de rumeur sous mes semelles
Quand la marche s'évanouit
Dans la fatigue
Je cherche à saisir les minutes
Qui vont avec le sang
Qu'elles portent encore un peu
Ce qui me reste de conscience
Il faudrait courir et abolir la chute
Devenir vol d'oiseau ou de papillon
Mordre à pleines dents
Un bout d'éternité
 
III
Le temps est devant moi
Dans un corps qui n'a plus ses lieux sûrs
Ligne sans replis où étouffer l'attente
Le sang à découvert du sang
Et battre une vaine mesure
Qui invente encore mon chemin
J'entends que me reviennent
Les chansons vertes de l'enfance
Et le tintement sombre des pendules
Dans la fièvre endormie
Ma peau prend le vieux grain
Des vieilles heures
Toute une mémoire à porter debout
Jusqu'au silence