Lorsque
la Weather&Health a étendu son filet de protection sur
l'humanité en 2058, quelques quarterons de centenaires, philosophes
oubliés, poètes atrabilaires, ont lancé un appel à
l'insurrection. Le parti des Béatitudes, qui disposait déjà d'un
étroit maillage de militants ainsi que de puissants relais
médiatiques, a eu tôt fait de mouiller le pétard de la révolte.
Le
réseau de géo localisation m'annonce que je ne peux pas tourner à
gauche et projette sur un holécran la direction à suivre. J'admets
volontiers que ma mémoire me lâche de temps en temps mais je suis
sûr qu'il y avait une rue à gauche. J'en revois le tracé hésitant
entre des immeubles mal alignés. On l'aura condamnée. Je m'arrête
un instant. Je cherche sur le mur les marques d'un bouchage au
ciment. Qui conforterait mon souvenir. Il n'y a rien. Je me suis
trompé de quartier peut-être. J'obéis aux indications de
l'holécran. Comme tout le monde.
Je
vais jusqu'à la place des Béatitudes où l'on donne un spectacle de
cloud movies. Une attraction nouvelle qui fait fureur. Les images
sont sculptées dans la matière des nuages. Cerclées par un laser
iridescent, elles offrent aux badauds ébahis une infinité de
couleurs changeantes. D'immenses oiseaux muets vont ainsi de ramure
en ramure, construisent des nids qui sont des châteaux où éclosent
au ralenti des oeufs tout rebondis. Les applaudissements crépitent.
La liesse pétille dans les yeux. Je m'éloigne discrètement.
J'éprouve
soudain l'urgence de rentrer. Quelque chose ne tourne pas rond. Ce
n'est pas d'aujourd'hui que j'ai ce pressentiment. Je passe,
indifférent, devant d'autres ribambelles adolescentes qui se
tortillent et se déhanchent sur de la musique infra sonore. Le
tramway aérien arrive. Il est midi. Vite. Retrouver chez moi un
vieux plan de la ville. Il date des années deux mille vingt. Rue
Mauriac. Oui, c'est ça. Il est impossible qu'elle ait disparu.
Je
fais tout le trajet avec cette idée de disparition qui me taraude.
Si les rues disparaissent, les corps aussi le peuvent. Un matin, je
me lèverai et je ne verrai plus mes bras. Auront-ils vraiment
disparu ou seront-ils seulement devenus invisibles ? La rue Mauriac
n'a pas été rayée de la carte mais on ne peut plus la voir. Il y a
une raison à cela, qui m'échappe.
Demain,
à la première heure du jour, quand ni les passants ni les robots ne
sont trop nombreux à battre le pavé, je retournerai à
Saint-Pierre. Le mystère ne me résistera pas.