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jeudi 3 mai 2018

La vie s'accorde à la lenteur du sang


Résultat de recherche d'images pour "soulages"La vie s'accorde à la lenteur du sang, aux murmures des instants égrenés.
D'autres enfants passent de mystère en mystère. J'ouvre mes bras qui étreignent du vide. La lumière est basse encore et patine les flaques de ramures froissées. Je marche avec le silence derrière les fenêtres. Je ne regarde pas les oiseaux qui m'en détourneraient. J'ignore le grésil de mon corps. La marche a fondu mes gestes et mes mots dans la stupeur du matin blanc.
La fatigue même a perdu mon visage.

La rumeur de la berge s'accorde au silence des ornières. Le sommeil des bêtes grince dans l'étable. La mouche en a fini de l’agonie sous la solive. Une ombre gribouille sur la lune, berce l'enfant qui cherche à grandir. Demain aura-t-il seulement lieu, si la nuit lui refuse sa porte ? La solitude est plus lente sous la lumière à pic. On s'éloigne du monde qui penche, on ne veut pas sombrer dans ses rumeurs de peaux mortes. Mais le paysage est un étau pour les oiseaux. Les mots manquent pour le défaire.

Comment inventer des sortilèges avec une langue coupée ? 

Il faudrait retourner à la rivière des enfances, à la berceuse aux dents vertes, ses appels jetés à mon visage quand les rêves ne portaient plus mon corps. Il faudrait éprouver le vide lancé par-dessus les berges d'où montaient des vapeurs, chercher des signes à conjurer les spectres, inventer des mots venus d'une autre voix dressée comme un parapet pour m'ouvrir à l'oubli. « Cet arbre debout dans son squelette quelle voix ranime-t-il en nous sous la tuile obtuse qui bat ». Des ombres dressées contre la marche, leurs plaintes de bêtes saignées. Une frondaison s'ouvre à mon chemin avec ses souvenirs de poix blanche. Les peupliers tremblaient depuis l'aurore, entendaient déjà le pas lourd de la hache, les cris à l'écho rabattu.

image pierre soulages christies.com

jeudi 29 mars 2018

L'image d'un coteau quand la lumière chavire


Résultat de recherche d'images pour "coteau"L'image d'un coteau quand la lumière chavire : l'enfant est seul sous l'arbre seul avec des mots sans suite. Et soudain monte le bruit des mantes comme un frisson d'échine. Aucun secours ne viendra de la fille aux tresses bleues en bas du chemin : elle fait des niches aux ronces et s’enivre de miel. L'effroi reste sans partage. L'oiseau s'est tu dans les plis du jardin. Une bête blanche rejoint l'ombre d'un caillou. L'enfant rit. Il va se consumer. Qu'a-t-il entendu du silence sous ses pas ? Comment s'en délivrer ? La fenêtre assombrit le plancher de sa chambre fermée ; un grain de plâtre tombera sur les poussières allongées près du lit et les ombres auront des charivaris. Je rassemble ici, entre chambre et coteau, mes enfances de berges et de margelles, de courtilières courant sous les humus, de corps figés dans la langue. Mais le cercle de la lampe se défait déjà. Le silence ne tient plus mes mémoires.
Les mots ont du sang sur mes lèvres.
Le regard ne tient plus dans la marche. Des plis de linge blanc traversent la mémoire. Il a fallu acharner sur eux le fer à chaud, oublier jusqu’à l’oubli des taches coupables. Le printemps porte l'aube des souvenirs quand sonnaient les beffrois et que l'enfance avait rétréci les gestes. L'arbre n'y pouvait rien dans sa relègue. Ses promesses étaient trompeuses dans le silence des dimanches raidis depuis toujours.
Il fallait boire jusqu'au fond du corps toute la lie.
Les oiseaux s'étaient couchés dans les guérets. Des sucs étranges pleuraient sous les écorces. Le ciel allait s'ouvrir et mes genoux tremblaient, ma peau prenait son mauvais grain des mauvais souvenirs. N'importe quoi pouvait surgir des taillis où crissaient les ronciers, courtilière noire et mante verte, nœud de serpent à mon cou.
Je n’ai plus dix ans depuis longtemps. Le silence reste à l’étroit sous les fenêtres du jardin.  L'herbe retient son souffle au passage des bêtes sans mémoire. L'oiseau se détourne encore du chant. J’ai fait trop de rêves trop rêches, mon corps s'est abruti si souvent comme une masse. Il faudrait courir dans le jour qui monte, adresser au ciel des élans et des joies, délivrer l'herbe et l'oiseau des signes trompeurs au fond des combes.
Le silence pourrait se déplier entre les peaux mortes. Les ombres n’auraient plus de faux bonds dans la marche. Un peu de paix s’écrirait dans les traverses du poème. Enfin.

dimanche 4 mars 2018

Remonter du sommeil comme d'une glaise

Résultat de recherche d'images pour "galet"Remonter du sommeil comme d'une glaise trop humide. Cette sensation-là dans le soir aperçu par la fenêtre. Un vent fort s'est levé pendant qu'on dormait. La tourbe se sera tassée au pied du seringat. C'est là peut-être qu'on s'est enfoncé, dans un corps indéfini. Sans mémoire de sang.

*

On lit un livre sur les arbres. On lit un livre sur les pierres. L'éternité fragile dans les veines du bois comme dans les veines du galet. On s'apaise à cette idée qui réunit tous les corps. Le souffle accompagne mieux les humeurs dans la sonde. On décide que demain sera un jour étale. Sans éclats. On imagine déjà les traits du paysage qu'on portera en marchant dans la maison. On voit un cerisier au chevet d'un jardin sec. Un pétale tremble dans l'air. Une pointe d'obsidienne luit parmi des gravillons. Quelle entaille dans la rêverie du promeneur ? L'horizon est-il si ténu dans sa fuite ? On ramène sur soi la couverture de laine rouge. On a des fourmis le long des jambes. On pense aux arbres et on pense aux pierres. Au pétale qui n'en finit pas de trembler.

*

On se souvient qu'on a été opéré à douze ans des végétations. On a gardé l'image d'un masque noir sur le visage. Comme un poulpe. Redoutait-on, déjà, les humidités des corps ? On ferme les yeux et le mot végétations vibre d'un sombre écho. Un arbre pousse dans la vessie. Racines de pierre au coeur des plis. Epanchements d'humus mais de quel ventre ? On pense à une mère dans ses fièvres. On noircit l'image. Quelqu'un d'autre aurait la tentation du bleu ou du jaune. A-t-on jamais vraiment aimé le bleu ? N'était-il pas trop vaste là où on a grandi ? Le jaune effrayait-il à ce point l'enfant perdu ? On ne sait plus dire. La mémoire se défait comme une terre pauvre. On ferme les yeux.

image planete-cristal.net
(Cet article est le quatre-centième de ce blog. Je ferai un petit bilan. )

lundi 12 février 2018

L'enfance encore vient déranger

Résultat de recherche d'images pour "salvador dali miroir"L'enfance encore vient déranger le silence. On ne sait pas s'en prémunir. On regarde comme au théâtre le défilé des souvenirs. A-t-on vraiment joué dans cette pièce ? L'a-t-on seulement regardée depuis des coulisses ? On a eu cinq ans puis dix ans. On a en soixante-deux. Les paysages retouchés mentent un peu. La solitude était déjà là, dans le sang. Des brassées d'oiseaux traversaient le ciel et les brumes. Le vent dans les blés de juillet tenait d'étranges conciliabules et on avait peur. Et on prenait du plaisir à cette peur qui faisait vivre la peau. Les blés ont disparu de l'imagier. Le vent n'a que le seringat du jardin pour horizon. Les oiseaux volent par deux à ras de terre. On vieillit. Le corps ne remplit plus tout à fait le corps. La mort travaille le vide.

*

Il y a une semaine on traversait la ville la nuit. Les boulevards baignaient dans un jaune usé. Les abribus étaient déserts. Un long trait de jazz aurait pu suivre le trajet de la maison à l'hôpital. Tout allait bien. La mélancolie se tenait loin des regards et des chiens. Quelques trouées claires entre les nuages allégeaient le poids du ciel. L'accueil était prêt sous les lampes du bloc. Des écrans veillaient. Des lignes vertes couraient avec des lignes bleues. Des visages passaient. Des voix parlaient. Un ballet de bleu de vert de blanc. A-t-on inventé aussi un peu de rose sur le mur soudain ajouré d'un fenestron ? A-t-on rêvé la vie de l'anesthésiste qui venait de Lituanie ? A-t-on seulement pensé dans le passage au noir ?

*

Nettoyer. Désinfecter. Maintenir le corps propre. On épure les gestes. L'oeil cherche un raccourci dans les distances. La main effleure avant de prendre. Le temps au ralenti n'égare pas l'esprit. Un reflet pourtant, d'où vient-il, compose un visage au miroir. On s'arrête. On cherche l'équilibre de la pause. L'image a comme des impatiences dans ses bougés. Lumière du reflet contre lumière du tain. On manque de mouvement pour saisir les lignes. Le visage n'est pas sûr. Aucune langue ne viendra jusqu'à lui. On reprend le travail d'ablution qui paraît plus lent. La fatigue passe dans la peau. On s'est attardé au miroir sans nommer les contours. On a refusé de s'y reconnaître. A quoi bon ce vain combat ? Aurait-on besoin de souffrir davantage ?

(Merci à Salvador que j'ai tant aimé.)

samedi 27 janvier 2018

La compagne aimée demande

Résultat de recherche d'images pour "planches d'entomologie"La compagne aimée demande si la douleur n'est pas trop forte. Ses lèvres dessinent des papillons roses et butinent les calices du bouquet dans son vase. Il faudrait qu'il ait un col de cygne pour que l'image soit totalement sucrée. On sourit et la douleur reflue. On pense aux années déjà partagées, à celles qui viendront encore. Avec leurs mots pour épauler les corps. En attendant.

*

Le poète Joe Bousquet est resté alité de 1918 à 1950. On imagine mal l'insurrection de sa jeunesse fauchée par un fusil quelques mois avant la fin de la guerre. On ignore comment ont pu avoir lieu des accommodements raisonnables avec l'absurde. Les grandes douleurs sont-elles vraiment muettes ? Quel poète serait devenu Joe Bousquet si la tragédie avait surgi d'un autre hasard ? On passe avec cette question un moment filandreux. Qui épaissit l'esprit. Le corps aussi s'engourdit. On tirerait volontiers les rideaux dans la chambre. Que soient submergées toutes les ombres sous le lit et la peau ! Joe Bousquet aura souhaité cela parmi des milliers d'autres souhaits. Dans la colère. Dans la malédiction de toutes les boucheries humaines. Etre cloué à vingt ans comme un coléoptère sur une planche ! Puis dans quelque chose comme un apaisement nécessaire. Un apaisement qui ne s'est pas résigné. Qui a continué à faire vivre les restes du corps. Inexorablement.

*

On vide toutes les heures une poche remplie d'urine et de sang. On mire la couleur du liquide comme autrefois on mirait les oeufs fécondés. Piètre comparaison. Où se trouve la vie dans ce caillot qui glisse si mal le long du tuyau en silicone ? Et la mort, que trame-t-elle dans les plis les plus sombres ? On s'agace. On referme le robinet de la poche. On s'en retourne à la couche. Tout est calme dans la maison. Les objets restent à leur place d'objets, ne contrarient pas les gestes rétrécis. Le bouton d'un tiroir jette un ou deux éclats de nacre. La lampe du salon n'organise aucun mystère avec des ombres fausses. On tiendra jusqu'au soir sans les tromperies des questions. On saura faire respirer l'esprit au creux du ventre.

(Ces textes font partie d'un ensemble imprévu, qui a commencé à s'écrire le 11 janvier. Et voilà qu'ils sont déjà une cinquantaine. 
Autre chose, mon recueil Le long des embrasures paraîtra fin avril aux éditions du Cygne que je remercie.)

image entomocollection-blogspot.com

mercredi 24 janvier 2018

Dormir pour apprivoiser

Résultat de recherche d'images pour "bouteille d'eau"Dormir pour apprivoiser ce qui résiste dans le corps. L'oiseau idéal drainera les sanies et le ciel sera un drap bleu au réveil. Sourire. Tenir avec les mots les plus simples. On l'a deviné il y a longtemps. Un grain de plâtre tombé du mur nous l'aura dit mais c'est plus tard qu'on l'aura compris. En suivant le chat qui jouait à la feuille morte. Un jour de novembre. Etait-ce vraiment l'automne  dans la terre meuble du seringat ? Le vent avait-il quelque saute à murmurer dans les branches ? Et voilà retrouvé, dans le fil des questions, le souffle du sang. La nuit peut tomber.

*

C'est un dimanche de lumière sale. On se réfugie sous une couverture de laine rouge. Tout sera plus long. Laver le corps. Désinfecter le corps. Habiller le corps. Détendre l'esprit dans sa grande solitude. On guette un mouvement par la fenêtre trop immobile. Rien ne bouge et rien ne bruit. La vie aura quitté le monde. L'oiseau las, le chat taciturne se seront dégoûtés du silence. On s'amuse un moment de cette image d'animaux qui renoncent. On se souvient de la dissipation de la vie dans un roman italien. Un seul témoin pour dire l'effroi du vide mais à qui ? Le silence n'est d'aucun secours s'il est trop silencieux. Le corps se remet à geindre. Il faudrait se lever. Dresser la liste des gestes qui ouvriraient le chemin jusqu'au fruit sur la table du salon, jusqu'à la bouteille d'eau à remplir encore. Il faudrait cela dans la lumière sale. Et la paix viendrait dans le sang. Mais un volet qui grince recompose l'espace de la chambre. Tout sera plus long. Plus loin.

*

On pense peu aux grands souffrants qui résistent toute une vie. Leurs actes sont des leçons. Leurs paroles sont des leçons. Construisez votre joie comme nous construisons la nôtre, disent-elles. Oui. Bien sûr. On donnerait de la force à l'oiseau contre le vent. La lumière blesserait moins les yeux tristes. La douleur aurait l'aiguillon plus doux. Bien sûr. Et pourtant. Cette réticence qu'on a. Le dépassement de soi tresse des lauriers à la chaîne. Frappe des médailles sur la poitrine des valeureux. On n'est pas valeureux. On craint le sang qui s'épanche. On redoute les urines retenues dans la vessie. Et l'oiseau ne tient pas debout sur le muret du jardin. Il a peur. La pluie pourrait tomber. Une branche casser. Et ce serait l'aubaine du chat tendu vers sa proie. L'autre leçon du pire.

image lematin.ch

samedi 20 janvier 2018

Le corps dépose parfois l'esprit

Résultat de recherche d'images pour "sonde urinaire"Le corps dépose parfois l'esprit dans une grande solitude. Les pensées manquent de mots. Les traverses sont trop loin de la fatigue. Le ventre pèse où macère le sang noir. On veut vivre pourtant. Les yeux s'en vont vers les oiseaux qui croisent au large. La lumière s'avive sous l'allège dans la chambre. On retrouve là les signes perdus de l'enfance. Une bille de terre s'invente au creux d'une rainure. Les restes d'une clisse luisent sombrement au souvenir du grenier. Le ciel est bas soudain et l'oiseau n'est plus une promesse. On veut vivre pourtant. Eprouver le mouvement qui retient les plis contre la peau. Pour un peu on rirait des mièvreries qu'on envisage. Une ombre passe au bout des cils. Elle ne dessine aucune ramure sur fond d'azur. Elle ne dit pas que c'était beau quand on avait dix ans. C'est avec elle qu'on se tiendra tout le long du jour. Dans le répit des chairs. On est vivant.

*

On vit depuis deux jours appareillé d'un tuyau au bas du ventre. Le temps s'écoule moins vite que les humeurs. Les gestes cherchent la mesure la plus sûre. Pour que le repos vienne dans l'attirail du corps. On ferme les yeux. Les bruits de la maison montent par l'escalier comme le chat effaré. L'émail est plus lourd, la céramique plus légère. Un froissement de chiffon en barbouille l'écho. On ferme les yeux. On devine le visage inquiet de la compagne aimée. Elle regarde le jardin se lever dans le matin. Quel tri pourrait-elle faire parmi les ombres à partager ? On reste longtemps avec cette question du fardeau qui leste nos pas. On pleurerait presque. On se retient. Des rumeurs viennent de la rue, qui nous étonnent.Elles ne sont pas exactement de ce monde. Plus sourdes ou plus feutrées, on reconnaît mal ce qu'elles disent des hautes solitudes. On ferme les yeux.

*

La douleur passe dans toute la chair. Elle ne s'attarde pas autour des fibres. Elle est comme un instant de lumière blanche égarée dans la nuit. La fatigue retourne longuement cette image après qu'elle a passé. La mémoire sème le trouble dans les souvenirs qui bégaient. On ne sait plus trop quand l'enfance a vécu un semblable empêchement. On s'attarde au trait de lumière blanche. On rejoue le film lent d'une détresse. Les phares d'une voiture peinent à trouer le brouillard sur une route de campagne. Des peupliers trop penchés dérobent le chemin. Une femme crie dans la voiture. Sa main tremble sur un accoudoir. Un homme à côté d'elle cherche un refuge. Le film pourrait durer encore. La lumière serait plus coupante. Des nuées de bêtes rouges viendraient y conspirer. La douleur de nouveau là taille dans le ventre. L'homme ne dira rien.

samedi 9 décembre 2017

On a perdu aussi le chemin des fossés

Résultat de recherche d'images pour "oiseaux en vol"On a perdu aussi le chemin des fossés. Ils ne disent plus rien des enfances croupies. Il faudrait prendre les oiseaux de vitesse, secouer les rires alanguis de nos dix ans autour des margelles où l'ennui gauchissait la lumière. Inventer des idées de voyage dans le miroir de l'eau. Son visage arrêté. Des souvenirs de mantes encore sous l'horizon des coteaux. Leur attente dans l'herbe couchée, des lames au fond des yeux. Comment fuir quand le ciel même se dérobait ? En quel repli de soi découvrir un refuge ? Parfois, dans les contrebas du chemin, une silhouette passait sans me voir et mes gestes restaient coupés. Cette image-là toujours, que mes mots font durer.
Il reste beaucoup à traverser de soi jusqu'au soir, beaucoup à apprivoiser des faux silences.
L'herbe fait des faux plis dans la lumière. L'air couvera bientôt les braises du jour. Mon cœur se serre. Mon sang est une poix, le nuage du sable dans ma bouche. « Tu seras bientôt conscient d'une absence qui grandira près de toi comme un arbre ». L'absence du père disparu en des sables lointains, gorge tranchée. L'absence de la mère au ventre trop fiévreux. Fardeau de l'ormeau mort qu'on n'a pu essoucher, des gestes coupés avant le premier souffle. On y creuse avec des mots sans élan.
On attendra la mort pour grandir.
J'invente dans la marche des mémoires d'avant moi, des ombres penchées sur des silences, des bouches fermées contre des puits.  Un chien jaune y tourne et s'hypnotise. Les mots de ma mère ont trop manqué de gestes. La lumière ne fixe pas les marges du chemin. Aucune mémoire ne m'appartiendra jamais. Les heures vides se sont assourdies. La fatigue n'entend plus ni les feuilles ni l'eau, tous les corps s’égarent dans des traverses.

On reste comme un point sur une ligne sans fuite, on ne cherche aucun lieu sûr

image pixabay.com

vendredi 3 novembre 2017

L'image d'un bateau sur la mer

Résultat de recherche d'images pour "image bateau sur la mer"L'image d'un bateau sur la mer. Sa découpe aura déposé le bleu qui a pâli. L'image d'un cheval dans la montagne au bord d’un ravin : une pierre pourrait la défaire. Ces deux images disjointes et rassemblées  dans ce que j'inventais des paysages avec la tourbe tremblante des berges sous mes pas. Une vieille sorcière, berceuse aux dents vertes, parfois me guettait, que j'aurais pu séduire comme on séduit les mirages. Rester dans la place du silence, avec l’indécision du bleu et la prégnance du vert, les genoux serrés sur le manque, le souffle à peine ouvert. Je suis pour toujours le petit aux gestes ancrés si mal aux gestes.
Des mots passent au large avec les oiseaux et les chats, dans la lumière lente des allées.
Ont-ils des lèvres que je saurais saisir ? Ce pays que j'ai dû prendre  dans ce qui m'a toujours manqué. Impuissance des gestes moignons. Voix de rouille édentée.  Ce pays dont l'horizon est toujours en fuite,  les oiseaux mêmes s'en détournent et aucune langue pour le retenir. Les mots sont des corps avec leur souffle et leur sang, leur bile noire. On ne peut pas les entendre dans la marche sous l'humus qui perle. On demande au poème la permission du chant, sa mélancolie d'oiseau. On attend que la fatigue ouvre ses portes. Disparaître dans le mouvement des pas.  L'oiseau comme le brin d'herbe abolissent toute durée.  L'horizon se confond avec ma peau.
Le poème n'a pas de lieu sûr quand ma silhouette se perd.
J'en recompose à tâtons l'illusion pour marcher encore, écrire encore, dans la même langue des repentirs. Je me souviens des chevaux debout la nuit, leurs paupières lourdes ouvertes au silence de la lune qui allait tomber. La paille qu’on avait changée murmurait à l’entour des sabots. Une mouche agonisait dans une toile et les solives en étaient à la peine. Des frissons couraient sur ma peau, écarquillaient mes yeux.

Mes mots ne savaient pas désigner les mystères, ne fécondaient rien de mes solitudes. Je n'imaginais pas l'envol des chevaux ; je manquais aussi de fatigue. 

image pirates-corsaires.com

dimanche 22 octobre 2017

La nécessité de l'effacement

Résultat de recherche d'images pour "sable"La nécessité de l'effacement. Devant le poème et dans lui. Il ne peut sinon prendre sa place. L'occuper. Il en va de même pour la vie ordinaire. On essaie d'effacer tout ce qui pourrait l'empêcher de traverser. Mais de quoi est fait ce tout ? Quelle table des matières saurait en nommer les éléments ?
*
On retrouve en écrivant le souvenir d'un séjour au pied d'une montagne. Quelques maisons de bois autour d'un étang. Quelques griffures d'herbes hautes où le vent coupait les chants d'oiseaux. Le bord d'une forêt gommé par les brumes. On avait à peine la sensation du paysage. On ne faisait pas de métaphores pour désigner le haut et le bas.

*
L'ignorance, toujours. Nichée dans la fatigue des gestes.
*
On se retrouve devant les livres contre le mur. Des ombres glissent. Des murmures traversent l'espace aboli. Une toux venue de la chambre bat le rappel du corps. Sa présence à déplier avec ce qui reste de mémoire. Quand l'autre souffre entre les draps.
On ne sait pas encore la fièvre qu'on mettra à l'écrire.
*
On se détourne lentement des anciennes dilections littéraires. On répudie les tapages surréalistes. On ne cherche plus sous les jupes du manifeste électrique. Aller au plus près. Au plus juste. Au plus nu.
Avec des mots pauvres.

*
L'âge vient où on se met à relire. Celui qui a choisi d'être relu.
*
La fatigue d'être l'autre commence à poindre sous les mots. On ne peut rien contre le partage de la douleur. On se tient en défaut avec des gestes qui viennent mal. La poésie non plus ne sait pas où se mettre.
Elle attend.
Mais quoi ?
*
La vie, parfois, va un peu moins comme elle va. D'anciennes langueurs, qui s'étaient tues, brouillent les signes des enfances. On ne retrouve plus les lieux sûrs du chemin. L'horizon même pèse sur les pas. Pour un peu, on renoncerait à écrire.

*

lundi 9 octobre 2017

On oublie que nos pas sont nos pas

Résultat de recherche d'images pour "chemins de traverse"On oublie que nos pas sont nos pas dans le mystère qui nous foudroie déjà. On n’ira guère plus loin. Il est temps. Mes mots ne sont pas des lieux sûrs pour assembler les paysages qui échappent au grain de ma langue. Ma mémoire a perdu l’établi de l’enfance où je fourbissais les brumes et les berges, la lumière des coteaux et la suffocation des mantes. L’effroi dans le creux de ma gorge, les gestes muets. Comment se fondre dans le silence du chemin qui reste ? Mon regard comme mes mains s’épuisent à l’ébauche de l’horizon.
Les oiseaux vont trop bas sous les plis de la lumière.
Les herbes couchées abandonnent leurs signes dans les remugles de la terre. Je suis un goitre. « Plus grande est la solitude au passage des grands oiseaux ». Leurs cris mêmes agrandissent le ciel, rapetissent la sente où le corps s’étire et le silence tombe sur mes épaules, immobile. Je ne peux rien saisir des ombres entre mes pas. Mon sang a pris le goût du fer dans ma bouche. Il est trop tard ; les draps de la nuit claquent déjà. Garder le souvenir d’un visage penché sur la glaise, sa bouche fermée aux remugles. Le soc luit sombre dans le sillon retourné.
Des courtilières pourraient bondir à l’assaut des corbeaux tapis.
Le soleil de novembre s’effondrerait sans qu’on s’en étonne sous le ciel bas. Les lisières des taillis ne tiendraient plus en joue les lignes des labours. On ne reconnaitrait plus l’étourneau désemparé, la musaraigne blottie dans les guérets. J’ai toujours dix ans. Un froid me fait trembler. Mais comment savoir ce qui en soi prendra la mesure de l’instant ? On n’a pas inventé assez de souvenirs. La lumière est trop tendue. Le ciel s’ouvrira-t-il ? Poser la question aux travers du chemin.
Attendre un frisson sous la peau qui jetterait des traits.
Chercher le regard des bêtes blanches, toutes ces présences pour augurer la trace déjà plus là. Une éternité minuscule. « On croyait habiter ces chambres ce sont elles qui se sont déposées en nous. » On retrouve partout leurs fenêtres, les lignes entre les lés fleuris, deux ou trois taches comme des géographies qu’on n’a jamais su nommer. On se souvient des rumeurs avant le sommeil. Le son lointain de la rouille plantée dans la terre alors qu’un rire monte l’escalier. Et une main le retient contre les lèvres. Personne ne doit rien savoir des plaisirs qui s’apprêtent. Le poème viendra-t-il parmi ce flou, si les contours du corps sont aussi brouillés de toute mémoire ? Une musique au coin du monde, on l’entend tout au bout de la fatigue dans l’énigme du corps défait.
Où aller encore si le chemin n’est plus qu’un trait qu’on ne sait pas finir ?
Il faudrait se dissoudre là, avec les notes blessées qui montent des fondrières dans les remuements faibles de l’air. S’accorder au murmure de l’eau parmi les hautes herbes, devenir une idée nue ouverte comme une main. Pour sauver. Il n’y a plus de tumulte. Les ombres gisent à l’entour des jardins. L’eau a perdu les traces des bêtes blanches. Un volet battant dans le vide éloignerait de mes pas les feulements du vent. L’ornière étouffe un sanglot quand je déglutis du noir. « Un homme seul regarde passer un garçon qui chancelle ». Je ne me suffis pas de son vertige dans les flaques, des ombres battues en ses clins. Il me faudrait prendre aussi la douleur qu'il ignore encore, loin des pères et des mères aux moignons qui suppurent.

Mais comment nous inventer ensemble avant la chute ? 

image chambresnoires.fr

mardi 3 octobre 2017

La marche abolit le paysage

Résultat de recherche d'images pour "traces de pas images"La marche abolit le paysage aussitôt qu’il est vu. « Chaque pas visible est un monde perdu. » Le chemin n’a plus de franges où se tenait la langue avant le franchissement. Mais comment inventer d’autres pas qui remettraient le monde au jour, si la fatigue m’efface, si l’invisible emporte mes restes ? La sensation de la terre passe au large du corps. Les yeux à tâtons éprouvent l’épuisement de la langue. On échoue à désigner ce qui manque de nom. L’infini résonne si mal par-delà les murs qu’on a dressés.
Le ciel s’est perdu depuis nos enfances.
Comment savoir si ce n’est pas lui sous nos semelles ? Comment retrouver sa mémoire ? Rien ne bouge au fond des combes et dans les frondaisons. La menace attend son heure. Le ciel a blanchi comme un couteau, l’air aiguisera bientôt ses griffes. Je cherche une issue à mes dix ans : des mots qui pourraient me pousser hors de la chute, un appel surgi d’anciennes mémoires, quand rien encore en moi n’avait vu le jour. Le silence est plein de solitude ; la lumière aura tout sali avant le soir.
On ne comprend pas le froid qui monte dans le sang, on se détourne du ciel fermé. Il faudrait échancrer l’horizon qui étouffe l’envol des oiseaux, inventer des traverses, des plis où disparaître. Une ombre titube le long d’un mur. Elle marmotte la bile incolore des égarés. Ses gestes sont des serpes dans le contre-jour.  Un dernier chagrin peut-être la fera tomber, qui n’aura plus de nom. Un chien s’ébroue et fait trembler les remugles des bouches. On restera ligoté quoi qu’on fasse.
On manque de mots pour dire ce qui suffoque.
La durée a tout effacé des gestes qui tenaient mon corps. Les lignes ont brouillé les traverses du ciel et de la terre. Je ne vois plus les abords du chemin où les toits se sont couchés. Je marche avec le mot marcher qui chuinte. Il n’est d’aucun commencement, d’aucune fin. Dans quelle langue m’appartient-il, à jamais étrangère ? On ne sait jamais au-delà du chemin. La fatigue a pris les derniers restes qui pensaient encore en nous. Les mots mêmes n’ont plus d’établi où me rassembler. La mue du sable sur ma peau ne tardera pas. Le grand sommeil vient déjà avec ses blancheurs nues, ses murmures d’horizon lent, son rien immobile.
La lumière réfléchit le mauvais suint des flaques où macèrent les restes du jour.
Une voix égrène derrière une porte basse les secrets du sang qui a tourné.  Une faute a été commise, qu’on ne pourra pas réparer. Elle a souillé tout le blanc de l’émail au fond de la cuvette : elle accuse la chair trop faible des mères. Mon corps se tasse sous les heures ; rien ne viendra le déplier. Un oiseau peut-être pourrait, avec un bout de ciel dans les yeux ou les ramures du jardin après la pluie. Et je saurais enfin attendre la venue du silence. Bien après les enfances, quand la brume ligote les gestes au point du jour, quand la langue est trop sèche aux échos de la terre, le puits n’a plus de bouche. Les prés ont noyé tous les cris.
La lune, je voudrais la tuer !
Mon corps est né dans l’absence. Ni geste ni langue n’ont aveuglé en lui le grand secret des solitudes. Je marche à sa rencontre nue, sans le parapet des ombres fausses à l’entour du regard. Je sais comment me dépouiller avec la foudre du silence.
Les mots comme les pas en retard du corps ne tiennent rien debout.
Terre et ciel tremblent dans le vertige des mémoires qu’on ne sait plus reconnaître. Il y a des chancres écarquillés dans les fondrières invisibles sur ma peau. Du suint dans mes humeurs défaites. On ne s’est pas encore apprivoisé. On cherche l’absence au cœur des vieilles traces, une lueur sombre sur les lignes passées. Le chemin en moi s’immobilise. Des ombres vont dans ses biais comme de pauvres sortilèges incapables d’envoûter les silences. Il faudrait opérer en soi les larmes et les cris, les souvenirs dont on n’a pas voulu du père et de la mère.
Mais comment soulever la peau qui pèse sur la peau ?
D’autres regards naissent dans le regard, abreuvés à d’autres paysages. On croit deviner les hauts murs venus des enfances qu’on a rêvées. On invente des signes insaisissables pour dire l’oiseau qui soutient l’horizon, la fenêtre borgne d’où monte un soupir de quand on avait dix ans.

On reste comme une ligne coupée. 

(Ce travail est une compression-expansion que je fais à la demande d'une éditrice mais ni elle ni moi ne savons ce qui adviendra de ça.)

lundi 21 août 2017

Le souvenir du commencement

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Le souvenir du commencement de l'écriture, on ne l'a jamais.  On cherche la première fois dans les dépouilles de l'enfance. On l'invente puisqu'on n'a rien gardé de nos mots qui trébuchaient. On fabrique le décor d'une chambre nue, d'une chaise qui grinçait, de la page qu'une ampoule en surplomb jaunissait grain à grain. On imagine la position du corps penché. Maladroite. Corps et mots c'est pareil.
Comment faire pour qu'ils tiennent debout ?
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On ne sait pas que le chemin durera toute la vie. On ignore même qu'il s'agit d'un chemin. Les mots se perdent trop vite. Ils n'ont pas la force encore de figurer des cailloux.

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Naître à la langue qu'on n'a pas reçue. Avec laquelle on a marché de travers sur des chemins qui n'avaient pas de lignes pour aboutir. Dans une solitude qu'on emplissait pourtant de conversations à voix haute. Et qui effrayaient jusqu'aux oiseaux. C'est là, peut-être, non un commencement mais une origine. Qu'on cherchait dans une fièvre dont on ignorait tout. Puisqu'on ne savait rien, de là d'où on venait.
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Le début de la face nord. Dans cette absence qui ne se connaissait pas.
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(J'ai mis ça pour vous reposer de Filiu que vous ne lisez pas alors que c'est lui qui compte en ce moment. Quant à la photo, Brigitte Giraud et mézigue rendions hommage à l'engagement d'un militant communiste à Bacalan et à Bordeaux, Vincent Maurin. Tout ça n'a rien à voir, apparemment. Et pourtant...)

samedi 28 juin 2014

Où fouiraient les courtilières

Il y aurait, dans le terreau plus suintant de la face nord, un humus où fouiraient des courtilières. Et c'est là, peut-être, qu'on trouverait les mots les mieux accordés aux remugles des corps.
Dans la lumière noire.
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On ne dit pas qu'on aime la poésie. On ne l'a jamais dit. On sent un attachement dont les liens ne sont pas toujours sûrs. Mais on voudrait les rompre qu'on ne pourrait pas.
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L'autre, qu'on aime, blessée avant même que de naître, commence à se dépouiller. Le regard s'ouvre davantage au bord d'un vide qu'on mettra du temps à toucher. Les veines ne se détachent pas encore du corps. La peur viendra plus tard.
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On s'étonne d'atteindre cinquante ans. On écrit des romans mal cousus, avec des fondrières d'où le silence ne monte pas. On les envoie peu aux éditeurs, qui les refusent. On finit par leur donner raison.
On jette.
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Il faudrait demander à des enfants de dessiner la face nord, sans préciser s'il s'agit ou non d'une montagne. Peut-être alors verrait-on apparaître le caché en soi de tout visage. Comme un passage entre l'ombre et la lumière.
Confondu.
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Extraits d'un texte sur l'établi en vue d'une publication numérique en décembre.

jeudi 7 mars 2013

Dans la durée des oiseaux #8

 L'enfance des lignes jointes entre les pierres. Dans les corridors où veillent les chats. Sur les dalles infinies des pas perdus. Marcher dessus t'effraie encore. Le ciel tomberait et ce serait ta faute. Tu allèges ta faim pour alléger ta marche. Tu cherches en toi une impossible transparence. Qui lèverait tous les mystères. L'amour dans le lit de la mort. Leur odeur de suint sur la peau. Une durée si lourde que j'en perds mes mains.

*
Tu as reçu en baptême le nom d'un oncle mort. La guerre l'a pris dans des forêts lointaines où sa dépouille n'a pas de lieu. Ton corps a grandi avec cette absence. Une mémoire sans décor pour y planter des mots. Tu as volé la langue refusée par la mère et le père. Sur la neige des rues vides. Dans l'étrave des bateaux de l'autre côté de la mer. Dans les ombres du brouillard où sifflaient tes poumons. Vivre quand même parmi les soeurs aveugles. Marcher avec le nom du disparu. Tenir le silence.

*
Tu ne sais pas quand tu t'es perdue. Tes lèvres ont des rondeurs de papillon qui s'affole. Les mots ne tiennent plus debout ton histoire. Elle appartient à d'autres corps, du père et de la mère, d'inconnus avant eux, égarés comme tu t'égares. Une voix, mais d'oùvient-elle, te dit qu'il "faut beaucoup de mémoire pour refouler le passé". Tes yeux, soudain, cherchent mes mains coupées, le creux de mes os au creux du lit. Je ne suis pas cette voix. Je suis un cheval dans les plaines aux herbes rases. Loin de nos tumeurs au fond de la maison. A l'abri des oiseaux de plomb. Je gagne de vitesse le train des yeux noirs où j'ai pleuré. J'attends la foudre du soleil.

dimanche 3 mars 2013

Dans la durée des oiseaux #7

 Une photo à l'orée d'une clairière dans la présence du noir. Des hommes et des femmes pour étancher la soif du poème. Comment cette image est-elle revenue nous chercher ? Au détour de quels mots s'est-elle invitée à notre table ? Le souvenir apporte à tes lèvres un peu de joie. Ces visages ensemble sont une caresse. Tu sens monter en toi la paix du sang. Demain, d'autres images viendront. Avec leur couteau.


C'était demain. Ton corps dans l'étau de cette incantation. Une heure ancienne te revient, qui préfigure ta fin. La mémoire dormante réveille des mots que tu croyais partis. Pont et bateau. Chemins de fer. Terrils et jardins. Ciel noir. Un long rire tremblant creuse encore ta fatigue. Epingle à ton sang des veines rompues. C'était demain. Ce sera hier. Le temps brouillé des souvenirs et comment marcher avec si le chemin nous dérobe.

Les grands yeux noirs dans la ville morte ont défait mon visage et ma voix. Je ne les cherche plus sous mes paupières. J'efface autour d'eux la porcelaine du thé et les fenêtres couchées à la brume. Le souvenir dépose encore au fond du souvenir un peu de sel aussitôt disparu. Comment oublier ce qui n'a pas eu lieu ?

mercredi 20 février 2013

Dans la durée des oiseaux #6

Tu viens d'entrer dans un temps de murs blancs, avec le vide pour durée. Tu dois puiser en toi l'eau et le pain, le sel et le sucre. Sauver ton corps couché sous la lumière où ta mère t'a brûlé. Retrouver la mesure du sang et de la peau. Loin des signes rongeurs d'enfance. Par la fenêtre fermée, un petit rectangle de toits et de voitures joue comme un paysage.
*
Un oiseau lent dans un jardin et la torpeur t'y conduit. Tu cherches aux ramures immobiles la même durée. Tu comprends l'instant fragile de l'abeille et l'aplomb du mur par-delà les haies. Tu ne sais pas, dans ton corps, ce qui s'en va en premier de toi, ce qui pourrait tenir au bout de ta fatigue. Vivre ou mourir. Nous allons toujours de l'un à l'autre, aec ce qui nous reste du poème. Notre maison de papier.
*
Les îles, encore, nous reviennent avec leur sable rond. Les ombres des marcheurs y ont le grain des heures sans présence. L'horizon est un souffle accordé à ce que nous cherchons de léger en nous. Une voile au loin claque dans le souvenir. Visible et invisible au fort de la houle. Une ligne de lumière et rien d'autre. Pour nous tenir.
*
Tu prends le temps de la nuit aux mots. Quelques vieilles silhouettes traversent tes yeux. Le jour les ferait pleurer. La nuit protège leurs larmes sur la marge du papier. Une fièvre, dis-tu, te mène au silence rouge d'une cigarette. Tes mains courent au devant des phrases. Loin du rond de la lampe, une goutte d'eau dans l'évier te tient en alerte. C'est maintenant que la langue se joue. Tu la dépouilles. Tu la couches en toi. Et les silhouettes désignent des visages perdus. Une soeur. Un père. Un amant. Saisir leur instant fragile à la lisière de l'aube. Parler encore et encore de la neige et du sable. Disparaître enfin sous tes paupières, quand l'évier se tait.

mardi 12 février 2013

Dans la durée des oiseaux #5

Tu te souviens des lapreuils bondissants que nous avons inventés. Une histoire d'enfants de trois ans pour tenir avec le monde qui nous tombait des mains.
 
Encore un landau dans le crissement des feuilles tombées. Son empreinte aussitôt disparue à nos yeux. Une mère. Un enfant. Pour un peu de lait ou un peu d'eau au bout du repos, avec les regard des saules et des oiseaux. Nous n'entrons pas dans la composition de cette lenteur. Qui nous dissout.


Un rêve de guerre traque tes yeux battus quand tu te réveilles. Ses ombres épuisent tes jambes dans la tourbe du jardin et le café prend le goût des dents creuses. Aucun soldat n'y chancelle au bord du vide. Aucune mitraille dont tu pourrais te saisir pour continuer le jour avec nos mots. Le ciel reste debout par-dessus les toits, dans un soleil plat. Seule une rumeur sourd et mes mains coupées la laissent gronder en tes plaies. C'est la mort qui étouffe un cri, là où ton ventre ne saignera plus jamais.

mardi 5 février 2013

Dans la durée des oiseaux #4

Ton cerveau maigrit. La peur te prend dans ce manque de coulures invisibles. Tu vois l'évidement de tes bras et de tes jambes, tu caresses les grains sur ta peau devenue sèche d'avoir trop pleuré. Mais comment mesurer au jour le jour ce que la mort arrache à ta mémoire ? Dans combien de temps l'éther où tes souvenirs n'auront plus d'apparence ? Il nous faudra marcher encore et encore, avec nos paraboles de neige et de sable, avec ce que nous mettons au cœur de nos lisières, pour toucher de nos corps l'horizon du chemin.


Plus tard, quand de mauvais regrets détourneront nos pensées calmes, nous relirons ces mots qui nous ont tracés. Nos corps plus longs à suivre les heures n'en reconnaîtront pas toute la mémoire. Nous dirons que quelqu'un d'autre, à qui la langue aura échappé comme elle nous échappe, aurait pu les écrire à notre place, courbé sur des jours trop vides. La rondeur d'un bol bleu et d'un fruit sur un coin de table rassemblera alors nos vieux vertiges. Et nous nous coucherons dans ce que nous savons de notre fatigue, en lisière des nuits où les visages sont sans visage.

mardi 29 janvier 2013

Dans la durée des oiseaux #3

De grands yeux noirs passent dans une ville morte. Une cloche sonne. Un arbre pend. Des sillages de bateaux donnent à l'eau des frissons lents. Mes mains ne peuvent rien saisir. Ces yeux tout luisants de futur ne sont pas de mon histoire. Ils vont dans une durée impossible à rejoindre. Je reste coi entre nos murs où l'amour luit encore avec le partage des oiseaux.
*
Tuer le temps. Ces quelques mots pour désigner l'ennui, la crainte d'être avec soi dans la torpeur. Tuer le temps par les grandes journées vides écrasées de chaleur, les soirées molles devant le désastre d'un écran. Nous n'avons jamais eu ce désir meurtrier. Nous apprivoisons depuis toujours les silences au coeur de la durée. Avec le poème.


Les grands yeux noirs encore, dans les longues heures des partances. Quand l'air figé abolit tout espace et toute durée. Je les revois sous le poème à venir. Ils ne guident pas ma main entre les mots. Ils sont d'une contrée sans abordage. Je les regarde s'évanouir comme s'évanouit le visage de la violoncelliste. Je te retrouve dans la marche, abreuvé de nos pas qui vont jusqu'à nos rires, jusqu'à nos larmes.


Pourquoi tant de solitude, parfois, dans les pas d'un homme qui marche ? Le silence n'en est pas l'émoi. L'errance ne parle pas aux maisons penchées, aux jardins illisibles. C'est l'absence de durée où le corps disparaît, qui nous étreint.