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lundi 14 janvier 2019

Do jardim das Virtudes ao praça dos poveiros

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Du Jardin des Vertus à la Place des pauvres, ce lundi 14 janvier par temps clair. C'est un jardin tout en escaliers parfois sombres et humides qui se gagne au jarret endurant. Quasiment personne en cette matinée alors que des dizaines de touristes font déjà la queue devant la fameuse librairie Lello qui a 113 ans depuis hier. Je m'assois sur un banc et reprends mon souffle. Je laisse du temps à mon regard. Je m'autorise même de ne rien regarder. Je suis là jusqu'au trente et un. Je suis certes un touriste mais pas seulement. Le paysage vient à moi selon son désir.  
Puis je descends par des ruelles au pavé irrégulier jusqu'au quai en face du musée de l'automobile. Certaines maisons pourraient s'écrouler d'un instant à l'autre. De nombreuses grues de chantier sont à l'oeuvre dans le secteur comme partout dans la ville. Porto a besoin de se refaire la façade. Mais il y a surtout des requins de la finance en embuscade. Des quartiers entièrement rénovés surgiront mais les habitants seront peu nombreux à en profiter...

Tous les quarts d'heure, je me pose sur un banc, il y en a un grand nombre alors qu'il y en a si peu à Bordeaux, et mes yeux comme mes oreilles papillonnent. Quelques reflets sur le Douro. Deux ou trois mouettes. Une vingtaine de lycéens tonitruants et le vacarme d'un tram hors d'âge. Des pas pressés ou nonchalants de jeunes femmes en boutons. La vie quoi ! 

Fatigué, je vais m'installer à la terrasse du restaurant où j'allais déjà en 2017, sur la place des pauvres. Je déjeune d'une omelette au jambon et au fromage avec des frites et un grand verre de vin. L'omelette est généreuse et bien garnie. Le prix est modique.
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Tout en sirotant mon vin, je pense à ce qu'on raconte du prétendu miracle économique portugais. Je vois beaucoup de SDF que les autorités municipales ne chassent pas, y compris aux abords des immeubles plus riches. Je vois beaucoup de retraités et d'handicapés qui, visiblement, tutoient madame la misère. 

Selon, l'OCDE, le salaire minimum s'élevait en 2017 à moins de 700 euros mensuels. J'imagine que la plupart des pensions sont des plus chiches. Les courses alimentaires sont nettement moins chères qu'en France mais les prix que j'ai observés en micro informatique et téléphonie sont les mêmes. Il me semble aussi que l'immobilier, à la location comme à la vente, a notoirement augmenté en deux ans. Le miracle économique portugais est peut-être un leurre malgré la bonne volonté présumée du gouvernement Costa.

J'en saurai davantage à la fin de mon séjour et je vous dirai, après avoir croisé différentes données économiques et sociologiques. Ici, je ne suis pas seulement un touriste. Je suis un observateur. 

image visitporto.travel
image atwilltours.com

lundi 27 mars 2017

Maria José Passos, sculpteur et conteuse

Comme tous les humains depuis les commencements, Maria José Passos aime raconter des histoires. Elle ouvre son chemin le long des berges et des côtes où gisent de vieux bois malmenés par les tempêtes après les marées d’hiver. Elle se perd dans les dédales sombres et lumineux de sa ville, recueille toutes sortes de choses oubliées à l’entour des chantiers, des décharges, des  ruines où le regard de l’artiste se plaît à farfouiller.
« Je vis près de la mer, d’une église et d’un cimetière où j’ai l’habitude de me promener et je me prends à regarder les photos sur les tombes… Mon atelier est plein de ce que je rencontre : poupées démembrées, restes de chaussures et de bateaux, ferrailles rouillées… », écrit Maria José Passos sur l’affiche de son exposition Contaram-me histórias/ Ils me racontaient des histoires à la galerie Geraldes da Silva à Porto.
La sculpture-qui-raconte de Maria José Passos peut s’apparenter à l’arte povera de Mario Merz. Les morceaux de céramique assemblés avec des branchages jaillissant des corps ou des cerveaux témoignent que les histoires sont parfois des fleuves intranquilles. Le tragique s’installe souvent à côté du naïf. La solitude et le silence recouvrent parfois le bruissement de la langue. La parole suffoquée voire interdite est également suggérée dans certaines installations. Une clé couture ici les lèvres, et là, aux pieds d’un enfant épinglé dans sa marche, des carabines rappellent l’oppression de toujours.
L’œuvre ci-contre évoque peut-être le charroi féérique des enfances. Quelle est donc cette figure-oiseau tendue vers un cerceau ? Mais on aperçoit dans les roues, pauvres Sisyphe, ces condamnés à mouvoir l’attelage du monde, à moins qu’il ne s’agisse de trublions facétieux, qui vont à hue et à dia…




L’œuvre suivante, plus ténébreuse, aurait plus à Louise Bourgeois qui y aurait reconnu ses obsessions. Quel est donc cet étouffoir d’où peinent à s’échapper les branches mortes ? D’où vient le liquide rouge contenu dans la bouteille ? A chacun d’imaginer son propre récit…

Rui Paiva, céramiste et sculpteur

La céramique est considérée comme le premier art du feu. Apparue dès le paléolithique, elle se développe partout dans le monde au néolithique. Elle s’affranchit rapidement de la seule fabrication d’objets utilitaires, (assiettes, plats, jarres…), devient art décoratif, (vases, bijoux…), puis accède au statut de l’art à part entière.
Rui Paiva, céramiste portugais, est un artiste à part entière qui travaille le grès. Il interroge la lumière sombre au cœur de la matière, durcit les bleus et les verts, oxyde les surfaces brutes ou polies. « Nous sommes une somme sans fin de sentiments, de savoirs et de sensations. », écrit-il. Qu’il s’agisse d’objets détournés ou de pièces abstraites, cette triple mémoire constituante de l’humain traverse l’œuvre tout du long.
Rui est également sculpteur. Son matériau de prédilection est le fer. Il le façonne et l’assemble, l’étame et l’étampe, ou laisse la rouille poursuivre son travail de corrosion, dans l’en-dedans comme dans l’en-dehors. Parfois, une simple pointe oubliée sur un chantier, un anneau dont on n’a plus souvenance de l’usage, offrent au regard cette belle pauvreté qu’on trouve notamment chez Antoni Tàpies.
Le grès et le fer entretiennent un lien étroit dans cette œuvre singulière. Des dialogues très empreints d’affects se tissent. Le spectateur attiré par les échos de l’ordinaire peut y entendre ses propres voix.
La sculpture-cube ci-contre est un hommage au père de l’artiste, lequel exerçait le métier de ferronnier d’art. La partie haute présente des affaissements, des brisures qui symbolisent le naufrage du grand âge, la dépossession de soi.



Cette autre réalisation nous montre un objet au caractère détourné voire indéfini dont les protubérances peuvent évoquer des tubes digestifs tronqués ou les pédoncules d’un anatife sur son rocher. D'inquiétantes visions de succions premières, nourries qui sait par les chimères des enfances humides… Et c’est ainsi que l’univers de Rui Paiva m’enchante et me retient. 









N'hésitez pas à rendre visite à Rui Paiva sur son site sobrement intitulé Rui. Ses images sont de meilleure qualité que les miennes.
Rui Paiva vient d'exposer à la galerie Geraldes da Silva à Porto un ensemble de sculptures et de céramiques " afectos ", en compagnie de Maria José Passos.

dimanche 26 mars 2017

Viagem a Porto, 18

 Hier, visite de deux églises côte à côte, siamoises même. Igreja do Carmo. Igreja das Carmelitas. Toujours cette pesanteur baroque sans repos possible pour les yeux et la pensée. Un office dans chacune. J’observe discrètement. Une dame très âgée portant qui sait perruque argentée tient son public depuis la chaire. Ses litanies sont reprises en chœur par les fidèles. J’ai le sentiment de vivre dans un film de David Lynch. Presque peur.
Le soir, j’ai mangé pour la troisième ou quatrième fois, plutôt quatrième, dans le bar où j’ai pris mes habitudes. Froid sec. La terrasse est chauffée mais je demande au serveur une couverture pour mes jambes, c’est prévu. Derrière moi, des Espagnols. Je reconnais tout de suite les différences dans la langue.
A l’intérieur, plus une place de libre pour cause de match de foot. Le foot, cet universel dont je ne suis pas. Les Espagnols demandent si les Mexicains jouent mais je n’ai pas compris la réponse en portugais.
Trois musiciens percussionnistes, de quelque fanfare peut-être, en uniforme trop voyant, tambourinent fortissimo dans la rue et traversent la praça dos Poveiros.
Les chiens n’aboient pas.
J’essaie de passer ma commande en portugais :
Um prato de batadas fritas, um copo de vinho tinto.
Le serveur est content. Les gens apprécient quand on s’intéresse à leur langue et ils ont mille fois raison. Comme je compte revenir l’an prochain, je vais me pencher sur cet idiome qui chuinte.

Et j’ai commencé Les intermittences de la mort / As intermitencias da Morte de José Saramago. Un roman surprenant dans l’écriture. Quant au sujet, il peut faire penser à Marcel Aymé, l’audace stylistique en prime.

Viagem a Porto, 17

 Un peu de tristesse pourrait m’étreindre. Demain dimanche. Bientôt le départ. Mon séjour étant aussi littéraire que touristique, je vous recopie une page de José Saramago dans Menus souvenirs.

« La pluie tombe, le vent malmène les arbres dépouillés de leurs feuilles et une image émerge du passé, celle d’un homme grand et maigre, vieux, maintenant qu’il est plus proche, sur un sentier inondé. Il tient une houlette sur l’épaule, porte une capote ancienne et couverte de boue sur laquelle ruissellent toutes les eaux du ciel. Des porcs marchent devant lui, tête basse, groin rasant le sol. L’homme qui s’approche ainsi, brouillé par la pluie qui tombe à seaux, est mon grand-père. Le vieillard est fatigué. Il traîne avec lui soixante-dix ans de vie difficile, de privations, d’ignorance. Et pourtant c’est un homme sage, silencieux, qui n’ouvre la bouche que lorsque c’est indispensable. Il parle si peu que nous nous taisons tous pour l’écouter lorsqu’une espèce de lueur d’avertissement s’allume sur son visage. Il a une façon étrange de regarder au loin, même si ce lointain est seulement le mur en face de lui. Son visage, figé mais expressif, semble taillé à l’herminette, et ses yeux, petits et perçants, brillent de temps à autre comme si une pensée qui lui avait traversé l’esprit venait d’être enfin comprise. C’est un homme comme tant d’autres sur cette terre, dans ce monde, peut-être un Einstein écrasé sous une montagne d’impossibles, un philosophe, un grand écrivain analphabète. Quelque chose qu’il ne pourra jamais être. Je me souviens de ces nuits tièdes d’été, quand nous dormions sous le grand figuier, je l’entends parler de sa vie, du chemin de Saint-Jacques qui resplendissait au-dessus de nos têtes, du bétail qu’il élevait, des histoires et des légendes de son enfance lointaine. Nous nous endormions tard, bien enroulés dans nos couvertures à cause de la fraîcheur de l’aube. Mais l’image qui ne me quitte pas en cette heure de mélancolie est celle du vieillard avançant sous la pluie, obstiné, silencieux, comme s’il accomplissait un destin que rien ne pourra changer. Si ce n’est la mort. Ce vieillard, que je touche presque de la main, ne sait pas comment il mourra. Il ne sait pas encore que quelques jours seulement avant sa dernière heure il aura le pressentiment que sa fin est arrivée et il ira d’arbre en arbre dans son jardin étreindre les troncs, leur dire adieu, prendre congé de leur ombre amie, des fruits que plus jamais il ne mangera. Car la grande ombre sera venue, en attendant que la mémoire le ressuscite sur le chemin inondé ou sous la voûte du ciel et l’éternelle interrogation des astres. Quelle parole prononcera-t-il alors ? « 

samedi 25 mars 2017

Viagem a Porto, 16

 Vendredi 17. Soleil. Le restaurant d’une galerie d’art qui donne sur le jardim das Virtudes. Avec Rui Paiva, Maria José Passos et leur amie Carmo qui se débrouille bien en français, qui aime le parler, cela se devine.
A propos de langue, Maria a posé sur la table un dictionnaire portugais/français. Le livre me semble neuf. L’aurait-elle acheté pour faciliter nos échanges ? Délicatesse. Envie de connaître l’autre. Tout cela qui pourrait sauver les hommes si…
Le vin est doux et coule avec les mots cependant qu’un énorme oranger a couvert ses branches de fruits encore pâles. Bientôt, gorgés du soleil de juillet, ils seront une offrande.
Nous parlons de tout. De littérature et d’art. De politique. Nous éprouvons le même effroi de la montée des droites extrêmes, de la corruption qui gangrène aussi bien le Portugal que la France.
Nous parlons du quotidien. Indispensable. Carmo vit à cinquante mètres de l’océan, près d’une chapelle cernée par la houle à marée haute. Jeune retraitée qui préfère la nuit au matin, elle parle de son travail de directrice d’un centre pour handicapés légers. On perçoit l’engagement dans la cause humaine, partagé par Maria et Rui qui, en tant que plasticiens, ont œuvré pendant vingt-cinq ans à ses côtés.
Un très bon moment avec un excellent gâteau à l’orange. Et je me confonds en remerciements car je suis invité. Muito obrigado.
Aujourd’hui samedi, un peu de fatigue. Lire José Saramago. Menus souvenirs. As pequenas memórias. L’enfance et l’adolescence de l’auteur à Lisbonne, dans un milieu très pauvre, voire miséreux. Qui s’élèvera un peu, un peu seulement, quand le père deviendra agent de police. De la tendresse mêlée de rudesse. De la cocasserie dans les anecdotes. Quelques menues cruautés aussi, commises ou subies. Et la découverte des mots à lire et à écrire. Pour sauver en soi ce qui peut grandir d’étrange et généreux.

Je lirai d’autres livres de Saramago. Ses romans. Commencer par cet ouvrage de souvenirs me permet d’apprivoiser l’homme, pour mieux entrer dans sa littérature. Faire corps avec.

première image, oeuvre de Maria José Passos
deuxième image, oeuvre de Rui Paiva

Viagem a Porto, 15


Mercredi 15 mars, alors que je me rendais sur les rives du fleuve où il n’y avait pas de haleurs, une moto s’arrête près de moi à un feu rouge. Me fait signe. J’attends, intrigué. Et je reconnais Rui Paiva dès qu’il ôte son casque. Nous sommes contents de nous voir. Il va à son travail dans son école d’arts. Il me dit : « Mangeons ensemble vendredi midi avec Maria. »
Je réponds OK, glad to meet you again with Maria. Je suis ému. Je suis non seulement capable de voyager seul mais aussi de rencontrer des gens, de qualité, et de me rendre suffisamment intéressant à leurs yeux pour qu’ils m’invitent.
J’en doutais. C’est peut-être sot mais j’en doutais vraiment.
Le soir du même jour, j’ai mangé à la terrasse du bar où j’ai pris mes habitudes. Pourquoi celui-ci ? Et pas celui d’à côté non moins accueillant ? Mystère.
Mystère aussi que l’humain ait à ce point besoin d’habitude ! Faudrait interroger un philosophe sur le sujet.
Un jeune couple bien propret s’est aussi installé à la terrasse. Lui : un brun aux cheveux impeccablement coupés. Une chetron de trader en goguette. Elle : une blonde vaporeuse trop maigre, assez jolie mais maniérée. Sa façon de faire pisser le chien sur le petit bout d’herbe en face, sans regarder, surtout pas, ce que commet le toutou, m’a fait rigoler. Doit être chiante, la meuf !
Et en plus, ils ont garé la voiture juste devant, un modèle de gamme moyenne-supérieure et rutilant.
Bref, praça dos Poveiros, ce couple n’était pas vraiment inséré dans le décor.

Sinon, beaucoup marché en me rendant sur l’autre rive. Vila Nova de Gaia, avec ses chais tous les trois mètres, ses bus de touristes, ses étals de breloques et autres bimbeloteries, ses restaurants standardisés, m’a ennuyé. Heureusement, il y avait le téléphérique juste au-dessus de ma tête. J’ai souvent levé les yeux pour suivre les cabines, notamment quand elles se croisaient. Et le ciel était bleu comme si on l’avait ripoliné. Et j’en suis déjà aux deux tiers de mon séjour !

première image, clin de main à Bacon
deuxième image, jardim das Virtudes

vendredi 24 mars 2017

Viagem a Porto, 14


Pedemeia au 209 de la rua Santa Catarina est une boutique où on ne vend que des chaussettes. Il y en a pour toutes les tailles et tous les goûts. Les coloris sont très variés, du plus pâle au plus foncé, et attirent les touristes étonnés. Les prix sont doux. La serveuse a vu que je suis français.
Ce concept de magasin doit bien marcher car il y a des Pedemeia dans tout le Portugal. A Lisboa. A Coimbra. A Leiria. A Faro. Et même en Espagne à Pontevedra.
Vive la chaussette donc pour monter et descendre les rues portuenses, mais gare aux accrocs. J’en ai acheté trois paires dont une orange pour Giro.
Avant cela, je me suis rendu à la livraria Bertrand qui existe depuis 1732.  «  A livraria mais antiga do mundo é portuguesa. » C’est écrit sur les poches et je recopie. Elle propose un nombre assez important de romans en français. Et même la poésie de Pessoa.
J’ai acheté deux Saramago, que je n’ai toujours pas lu, et parce qu’il me paraît normal de m’intéresser à la littérature portugaise au Portugal plutôt qu’à une autre.
Titres des livres : Menus souvenirs /Les intermittences de la mort
Je vais commencer par les souvenirs pour me faire une idée du bonhomme Saramago et j’attaquerai le roman ensuite.
Voici ce qu’en dit la quatrième : « Dans un pays inconnu, plus personne ne meurt. Les hôpitaux regorgent de malades, les entreprises de pompes funèbres et les compagnies d’assurance font faillite, les familles conduisent les membres les plus encombrants aux frontières, l’Eglise est menacée de disparition : sans mort, pas de purgatoire, de Paradis ni d’Enfer… Mais un beau jour la mort revient sauver les hommes. »
Simone de Beauvoir a écrit sur le même sujet mais la non mort ne concerne qu’un seul individu.

Bref ! Tout pour me plaire. Maintenant je vais aller glisser dans la boîte aux lettres rouge les trois cartes postales en noir et blanc que j’ai fini par écrire.


Photo jardim marques de Oliveira, où sont passées mes chaussettes

Viagem a Porto, 13


Aujourd’hui, je suis resté à l’appartement jusqu’à six heures du soir. Je n’ai pas arpenté les pavés de Porto mais la fin de La ballade de l’impossible de Murakami. Naoko est morte. Pendaison. Les médecins et sa compagne de chambre, Reiko la musicienne, croyaient qu’elle trouvait enfin la sortie du trou noir. Ils se trompaient. Naoko avait programmé son suicide et c’est terrifiant. Watanabe, qui se croit coupable tout en sachant qu’il ne l’est pas, erre pendant un mois. Reiko l’appelle. Ils se voient, s’étreignent, évoquent la disparue, pleurent. Puis, Watanabe se décide à appeler Midori qu’il n’a pas vue depuis six mois. Il aime sa gouaille, ses mots crus à propos du sexe, sa dévotion quand elle soignait à l’hôpital son père mourant. Il l’aime. Elle l’aime. Tout est possible, maintenant que Naoko est morte. Mais comment savoir.
J’ai aussi continué à lire l’anthologie de la poésie contemporaine portugaise. Il m’a sauté aux yeux que les poètes portugais abordent sans détours la question du corps. Du corps qui saigne. Qui éjacule. Qui pue. Mon sentiment est confirmé par la note d’un universitaire sur l’un des poètes.
Je suis pas si con, finalement.

A six heures, je suis allé au bar où je prendrais volontiers des habitudes. Je me suis réfugié à l’intérieur car le vent sur la terrasse coupait comme les lames d’une faucheuse. Belle omelette au jambon et au fromage servie avec des vraies frites contrairement au Palais du cochon de lait où l’on a osé me servir des ships. Sacrilège. Deux verres de vin en regardant des infos à la télé. Pitoyables comme partout. Et maintenant j’écris ceci, après avoir travaillé à mon roman. On dirait qu’il s’est décidé à avancer. Je ne sais pas jusqu’à quand tellement il est branquignol.
Demain, j’irai acheter du e-liquide pour ma cigarette électronique rua da Alegria et je me rendrai dans un magasin de la rua Santa Catarina où on ne vend que des chaussettes. Pour ma compagne et Giro, notre fils de cœur.

Voilà.

Première photo, mes loustics de Cordoaria
Deuxième photo, il suffit de passer le pont

jeudi 23 mars 2017

Viagem a Porto, 12

 Je monte la rua da Alegria à l’angle de la rua Fernandes Tomas et j’en ai pour plus de deux mille numéros. Toujours cet étonnant mélange d’architectures. Avec des façades d’azulejos ou entièrement taguées. Puis, tout à coup, un château d’eau. Puis, encore, une grande friche de jardin. Beaucoup d’écoles privées dans tous les domaines, de l’économie à la production culturelle, des collèges aussi, des écoles primaires.
Je remarque beaucoup de commerces dont un qui ne vend que des extincteurs. Un autre que des pièces automobiles. Ce sont là des petites surfaces dont la vie doit être chiche si j’en crois Rui Paiva.
Voilà. Marcher et marcher encore sous le ciel qui joue à cache-cache avec les ombres du trottoir.
Quand je redescends, je note les coordonnées de l’hôtel trois étoiles S. José. La Rua Santa Catarina est proche. Idéal pour ma compagne à qui j’ai proposé que nous allions tous les deux à Porto. Elle aimera. La poésie de la ville. Sa tendresse. Son absence de maquillage, comme dit Caro. Mais elle devra monter et descendre. Descendre et monter. Elle se fatiguera. Nous prendrons des taxis.

Pour terminer, un extrait du poète Manuel Alegre :Résultat de recherche d'images pour "manuel alegre"

Nous étions vingt ou trente sur les berges de la Seine.
Et nos yeux erraient sur les eaux.
Ils recherchaient le Tage dans les eaux de la Seine
ils recherchaient des saules sur les berges du vent
et ce pays de larmes et de villages
posés sur les collines du crépuscule.
Ils recherchaient la mer.

Manuel Alegre est né en 1936. Opposant à la dictature de Salazar, il dut s'exiler en Algérie. Certains de ses poèmes ont été chantés par Amalia Rodrigues.

Viagem a Porto, 11

 (article publié en différé pour cause de problème informatique)



Finalement, baragouiner l’anglais s’avère utile à Porto. Ce matin, ni téléphone ni internet. Boîtier wifi plus muet qu’un sphinx.  Panique à bord. Réfléchir. Se rendre dans la boutique NOS la plus proche et tâcher de se faire comprendre. On appelle pour moi The Porto concierge et tout est réglé en deux heures. Le boîtier avait dû glisser et s’était déconnecté…
Cet après-midi, après avoir mangé de succulents mini flans meilleurs encore que ceux de Chez Elise cours Portal à Bordeaux, je fais des courses chez Froiz. J’achète du lait à l’emblème de la tulipe, des soupes, du PQ, des boîtes de je ne sais quoi micro-ondables, des Pim’s, du Caprice des Dieux, du jus d’orange, du chocolat noir Jubileu, des fruits secs cent pour cent naturels qu’ils disent, poire et ananas et une bouteille de vin : Cabeça de burro, vinho tinto, 2013.
L’étiquette montre la culture de la vigne en terrasse le long du Douro. Du vin qui baigne dans l’or, donc. Je vous dirai.
Sinon, à presque mi séjour, je tiens à dire aux deux personnes, un assez vieux monsieur et une toute jeune fille, qu’elles se trompent en affirmant qu’on parle français à Porto. Faux de chez faux. La pratique de l’espagnol n’est pas répandue non plus.Résultat de recherche d'images pour "jardin do palacio de cristal"

Demain, après avoir fait chou blanc et trois kilomètres à pied hier, c’est beaucoup pour un chou fût-il blanc, je retourne au Jardim do palácio de cristal pour visiter la Galeria municipal Almeida Garrett qui sera enfin ouverte. Mais en bus. 

image igogo.pt

mercredi 8 mars 2017

Viagem a Porto,10

Je m'installe pour la deuxième fois au carrefour de la Praça dos Poveiros, dans un bar dont la terrasse est chauffée : Nuances tropicais. Le vin est bon et bien servi, l'assiette de frites généreuse.

Je regarde les gens passer. Les jeunes filles en boutons qui dardent, les mères démonstratives dans leurs marques d'affection à la progéniture vagissante,  les vieux seuls avec ou sans canne, avec ou sans misère. Des mouettes font leur tournée du paysage replié par le soir. Des scooters vrombissent. Des chats en catimini flairent le trottoir.

Je m'étonne que les automobilistes (qui appuient sur le champignon car il n'y a pas de zone trente ni cinquante) s'arrêtent aux passages protégés avant que les piétons ne s'engagent. Une leçon à prendre pour le chauffard impénitent que je suis...

Je m'étonne du calme sans violence souterraine prête à défigurer. A ce carrefour et partout dans la ville. Je ne perçois pas de tensions communautaires comme à Bordeaux, cité suave comparée au cauchemar du 93.

Qu'est-ce à dire ? J'empesterais le fagot si j'avançais, imprudent ou naïf, que la faible présence des rebeus y est pour quoi que ce soit... Cependant, cependant... J'ouvre les yeux et ma pensée pour corriger ce que je pourrais ressentir comme ressent le moindre quidam avec ses préjugés. Le vrai et le ressenti ne sont pas qu'une donnée météorologique...

Je crois, avant de me forger une opinion mûrie au temps éprouvé, que l'exclusion n'est pas à Porto structurée comme dans nos villes livrées au fouet du bourreau dont Baudelaire s'émouvait. (Baudelaire, ce dangereux réactionnaire, comme Flaubert, Maupassant, Gauthier, Nerval, tant d'autres...) La pauvreté a des représentations plus archaïques : le clochard, le vendeur à la criée de billets de loterie, le joueur de piano à bretelles aux touches écaillées comme la marée du jour, le réparateur de parapluies, la vieille fripée au porche des églises, le cul-de-jatte sur son fauteuil qui n'est pas électrique et qui attend, qui attend, toujours à la même place, toujours avec la même absence de gestes.

A propos d'église, justement, igreja en portugais. Celle des congregados près de la Praça da libertade. J'y suis entré, assailli, suffoqué par trop de moulures, de dorures et d'encens sulfaté. Comment prier Dieu là, en cette profusion qui assassine tout regard porté aux travers? Où trouver le dénuement qui conduirait au recueillement, à l'ascèse sans laquelle rien ne se peut proférer à l'au-delà s'il en est un qui existe ? 
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J'y ai vu de vieilles personnes piquetées déjà du vert-de-gris de la mort mais nippées de soie raide, tavelées comme si les Enfers déjà les avaient happées, et c'étaient des génuflexions, des égrainages de chapelet, des signes de croix auxquels ne manquaient que les aspergesme car le bénitier créchait trop loin de leurs petits pas.  Aucune en sortant n'a donné son obole au fantôme dépenaillé qui tendait la main.

Quoi d'autre dans ce brassage de la vie pétrie par les hasards qui enchantent ou saignent le chemin que nous avons à faire puisque c'est notre travail tant que nous sommes de ce monde dépecé ?  Un vers peut-être, du poète Antonio Ramos Rosa : "Comment rassembler l'obscur dans l'évidence des mots ?"

Chercher l'obscur, l'opaque, le marécage ineffaçable des suints, ce qui se révélera plus tard si on a ordonné à sa volonté de faire ce travail de patience, chercher cela plutôt que la lumière qui pourrait nous tromper avec ses évidences sans arrière cour, sans bas fond.

Continuer ce combat dévorant tant que mon coeur restera debout.

image igreja dos congregados helloguideporto.com

Viagem a Porto, 9

Aller à la fondation (fundaçao) Serralves. Prendre le bus 502 au marché Bolhao... et se retrouver au terminus parmi des grues portuaires pour avoir loupé l'arrêt (paragem). Faire demi-tour avec le même chauffeur amusé qui m'indique quand je dois descendre.

La fondation est un beau lieu contemporain niché parmi toutes sortes de frondaisons étirées sur dix-huit hectares. Je ne visite pas l'exposition Miro dont je prétends connaître l'oeuvre mais l'exposition Philippe Parreno. Elle occupe une dizaine de pièces immenses et très hautes. Les plafonds sont recouverts de ballons gonflés à l'hélium qui représentent de grands poissons marins. Il y en des argentés, des dorés, des transparents, des jaunes, des violets, des orange, des bleus. Résultat de recherche d'images pour "philippe parreno"
Dans certaines pièces, des encres de petit format, tirant sur le noir avec parfois des trouées blanches, courent le long des murs. Je crois deviner le motif récurrent d'un espèce de libellule tordue par des chimères. Ailleurs, seulement quelques affiches monochromes, orange et vertes. Résultat de recherche d'images pour "philippe parreno"
Puis la surprise de découvrir un grand panneau en arc-de-cercle qui tourne sur lui-même cependant que les rideaux à l'entour montent et descendent, sans jamais s'arrêter à la même hauteur. Et c'est ainsi que la lumière joue à piéger notre regard perdu dans l'espace. 
Cette exposition-installation qui nous montre aussi quelque sapins de Noël chamarrés comme des amiraux est également sonore. Des mouettes. La houle. Des plaintes et des souffles. Des mouettes. Des bruits de machines indéterminées. Des plaintes. des souffles. La houle. Des mouettes.
Ne me demandez pas de préciser les intentions artistiques et conceptuelles de l'auteur. J'ai cependant aimé me promener parmi ses créations. 

J'ai également mis mes pas perdus dans les allées et les dédales des jardins. De beaux camélias et liquidambars trompent ici les sens du veilleur. Il y a des sculptures étonnantes. Les cabanes cinétiques ornées de voussures romanes, signées par le Coréen Haegue Yang, désarçonnent. Non loin de là, un olivier millénaire me fait signe. Je m'assois sur un banc. Mes yeux furètent. Mes pensées zigzaguent. 
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Et mon dos moulu me rappelle à ma fatigue. Je rentre. Ligne 502. Puis ici, maintenant, à écrire.

image Parreno pilarcorrias.com
image Parreno officiel-galeries-musees
image jardins de Serralves info-porto.pt