Je
me souviens d'avoir tenu la pose entre Sancho Panza et Don Quijote
devant la maison natale de Miguel de
Cervantes, sur un banc de pierre. Une pluie fine et pénétrante,
llovizna, s'apprêtait au-dessus de nos têtes. Le ciel d'Alcalá de
Henares était décidément trop lourd. Je ne me souviens pas, en
revanche, de la maison de l'écrivain. Oserai-je dire que ces
demeures se ressemblent toutes malgré leurs particularités ? Et qu'on
s'y ennuie ? Partout d'identiques enfilades de livres sous clé,
llave.
Un guide, souvent étudiant condamné à des mini jobs, montre
avec plus ou moins de lassitude le bureau reconstitué de l'écrivain, la
chambre reconstituée de l'écrivain, et la cuisine aussi,
où des cuivres soit disant d'époque jettent quelques feux faiblards.
Après la visite, manquant cruellement de tabac, j'ai arpenté plusieurs
rues en rasant les murs pour acheter ma drogue
quotidienne. Je me suis mouillé car je n'avais pas de parapluie. Ce
n'est pas que j'en garde une mémoire nette. Le paysage de ces rues
espagnoles pourrait être transplanté dans n'importe quel
quartier de Bordeaux. Mais, plusieurs années ayant passé, je
m'étonne encore de ce que fut ce déplacement de la banalité, qui la
rendait étrange, extra˜na. Bien sûr, j'ai dû pour ne pas me perdre
repérer des noms sur des plaques, des vitrines de magasins. J'ai
cherché, oui, probablement, quelques détails insolites sur des fenêtres
ou des balcons. Cependant, je n'obéissais pas seulement à
la nécessité de retrouver mon chemin.
C'est qu'un paysage, si
ordinaire soit-il, recèle toujours son petit mystère du fait même qu'il
est ailleurs. Alors, presque à son insu, l'arpenteur des
dédales urbains devient vaguement quelqu'un d'autre, mais qui
restera dans ce flou, imperméable à toute raison. La raison, je l'ai
retrouvée quand, plus trempé qu'une soupe, j'ai dû me réfugier
dans une encoignure pour allumer ma première cigarette de la journée
alors que midi allait sonner. J'ai tiré une longue, très longue
bouffée, j'en ai rejeté loin, très loin l'enivrante fumée et,
levant au ciel mes yeux ravis, j'ai aperçu des cigognes, ciguë˜nas,
juchées sur les hauts arbres, dans des nids grands comme des berceaux.
Il y a des cigognes à Alcalá de Henares. Il n'y en a pas
à Bordeaux. Et voilà qui m'étonne davantage. Elles feraient belle
figure tout au sommet des platanes de la place Saint-Christoly. Leur
vol, si ample, serait photographié par les touristes du
monde entier et on imprimerait même des cartes postales. Un esprit
plus rationnel que le mien objecterait que si nous n'avons pas de
cigognes nous avons en revanche des mouettes, gaviotas, sur
les bassins à flot. Une telle remarque ne saurait m'intéresser. Elle
manque trop de mouvement. Je préfère imaginer le bal des cigognes entre
les deux ville et, pourquoi pas, il y aurait un bébé
abandonné dans un de leurs nids.
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