Dans Les derniers seront les derniers, livre de poésie publié chez Le pédalo ivre, Thomas Vinau déclare : J'écris/avec un/caillou/dans la/chaussure.
Je trouve cette métaphore tellement juste que l'envie me saisit de décrire ce qui se passe en moi quand j'ai un caillou dans la chaussure.
Je marche. Je suis dans ma marche ou je n'y suis pas mais je marche. Je perçois autour de moi des chutes de paysages, des morceaux de corps, des bruissements de langue et de circulation. Qu'elle soit floue ou acérée, ma conscience n'en demeure pas moins fragile.
Soudain, je sens que quelque chose me gêne. Je marche plus lentement. L'impression de mes pas dérape un peu sur le sol. Une pointe de douleur s'empare de mes chevilles, grimpe jusqu'à mes mollets et fatigue prématurément mes genoux.
Je réalise au bout de deux minutes que j'ai un caillou dans la chaussure. Je m'en étonne. Comment est-il venu là ? Quand ? J'ai peut-être ce caillou dans la chaussure depuis trois jours et je ne m'en aperçois que maintenant. Pourquoi ?
Je secoue mon pied pour vérifier si le caillou bouge et mesurer éventuellement sa grosseur. Je continue à marcher mais je ne vois plus le décor. Le caillou prend sa place et son importance est proportionnelle à ma lassitude grandissante.
Je dois prendre une décision. M'arrêter. Délacer ma chaussure. Extraire le caillou. Masser pourquoi pas mon pied. Remettre ma chaussure et repartir d'un meilleur pas.
Mais il faut trouver l'endroit le plus approprié à un arrêt. Pour ne pas déranger les autres marcheurs. Pour ne pas attirer l'attention sur moi. Pour chasser l'intrus sans contorsions inutiles.
Un banc conviendrait. Le rebord d'un mur le long d'une boutique aussi. Je cherche. Je me retourne. Je n'aperçois ni banc ni rebord de mur. Et ma décision n'est toujours pas prise. Je commence à boiter. Je n'arriverai jamais au terme de mon chemin si ma claudication s'aggrave. Une moiteur aigre me monte au front.
Et c'est elle, cette moiteur piquante, qui prend la décision à ma place. Je me retrouve assis au milieu de la rue, les doigts aux prises avec des lacets trop bien noués. Lorsque le caillou roule sur le bitume, toutes les tensions de mes membres se relâchent. Je me relève avec un peu de joie sous les semelles. Le paysage réapparaît timidement. Les corps reprennent le mouvement qu'ils avaient laissé se défaire. Les langues claquent jusque dans le bec des oiseaux.
Je peux écrire mon chemin et il peut m'écrire. Ensemble, nous irons au bout que nous avons choisi.
P.S. : Très beau recueil de Thomas Vinau et très belle collection sous kraft dirigée par Frédérick Houdaer, et puis, les pédalos, j'aime bien qu'ils soient ivres.
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