Le
cocktail cellulaire me fait du bien. Mon corps se délie au mieux
dans la marche et j'ai le moral au beau fixe. La moitié des cent
mille nano implants sont dévolus au check up du cerveau. Les
neurotransmetteurs revivifiés préviennent ainsi les moindres chutes
de régime. Les maladies mentales, comme les autres, ont disparu. Les
hôpitaux ont été transformés en centres de loisirs thématiques
et le public est nombreux à s'y rendre.
Je
m'enfonce dans ce qu'on appelait jadis le vieux Bordeaux. Je croise
des militants du parti des Béatitudes qui vont bras dessus bras
dessous en chantant. Des gens à leur fenêtre leur adressent des
signes amicaux. Je souris. J'esquisse moi aussi un signe. Mais voilà
que ma jambe droite glisse sur le pavé. j'étouffe un cri dans ma
main. Un militant aussitôt accourt, me demande si je ne suis pas
blessé. Je lui assure que non. Je suppose qu'un capteur du pavage
rétractile de la rue est défectueux. Je souris encore. Le militant
appelle un robot réparateur.
Des
adolescents jouent avec leurs holocats autour de la fontaine Steve
Jobs. Un concerts de miaulements se mêle aux piailleries juvéniles.
Le pelage des animaux scintille sous le soleil. La mode des holocats
durera-t-elle autant que celle des holodogs ? Alors que des holobirds
sont annoncés pour l'an prochain ? Qu'importe ! En 2116,
l'adolescence est un âge heureux, comme tous les âges de
l'existence humaine, et c'est ainsi que le monde exulte.
La
réalité radieuse, si bien organisée soit-elle par les
programmateurs de la Weather&Health, montre depuis quelque temps
de menus signes de faiblesse. Un homme, qui proférait des paroles
aussi crépusculaires que décousues, a été arrêté sur la
Cinquième avenue à New York. Trois cas de suicide ont été
identifiés à Berlin et, à Paris, une jeune femme est morte en
pleine rue. Le World Report a consacré une dizaine de secondes à
chacun de ces faits divers. L'Indice de Bonheur Universel a chuté de
cinq centièmes. Cela ne s'était jamais vu.
Je
continue ma promenade dans les entrailles de l'ancienne ville. Onze
heures sonnent au clocher de l'église Saint-Pierre. Les robots
architectes qui en ont construit la réplique n'ont négligé aucun
détail. Un graffiti amoureux des années 1960 a même été
conservé. L'amour, ce tourment obsolète qui enténébrait les
coeurs, voire les poussait au crime, ne cède plus de nos jours au
dérèglement des sens. Le poison de la jalousie reste sous le
contrôle des cocktails cellulaires et personne ne s'en plaint.
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