Eléonore Jame des éditions Janus et Christophe Brégaint membre de l'association ActionFroid créée par Laurent Eyzat viennent de publier une anthologie poétique sur les sans-abri. La totalité du produit des ventes sera versée à l'association.
La longue prose de Sabine Huynh, Des araignées plein la bouche, me touche particulièrement :
"Les araignées, elles t'épargnent toujours, alors que tu es affalée sur leur territoire, comme Gulliver tombé dans une soupe pour Lilliputiens. Par contre, quand tu es dans ton lit, tranquille, au chaud et au propre, elles n'ont aucune pitié. Et piquent et repiquent et remordent, bien fait pour toi, tu sens trop bon tu sens pas bon. Mais quand tu es dans un local à poubelles, dans un local à vélos, dans une cave d'immeuble, sous un banc, elles te laissent tranquille, comme si elles savaient... que c'est malgré toi que tu dors là, les yeux à deux pattes de leurs toiles. Dormir est un bien grand mot pour ce que tu essaies de faire. Elles le voient, que tu ne dors pas, que jamais tu n'y arriveras (plus). Elles te pardonnent de laisser tes cheveux attraper leurs soies et les déchirer au passage. Elles en profitent pour fouiller ton crâne. Elles sont minuscules, grises, rapides, grouillent, descendent dans tes oreilles, forent jusqu'à ton cerveau. Mine de rien ça fait mal. Tu as envie de crier. Tu as envie de hurler mais tu restes silencieuse, comme les araignées. L'esprit est plus fort que le corps l'esprit est plus fort que le corps. C'est toujours pareil. Si personne ne te voit, ne te regarde, ne s'approche pour te parler, te tendre la main, une pièce, un sandwich, une bouteille d'eau, tu meurs et meurs et meurs, c'est comme se taper la tête contre un mur ou se noyer devant des indifférents. Et pourtant, tu aimerais tant être invisible. Regardez-moi, j'existe, aidez-moi, je crève. Détournez votre regard, passez votre chemin, laissez-moi, je ne suis personne, je ne suis plus rien, je pue, j'ai des boutons plein le front, les yeux et les cheveux collants, les ongles sales, des kystes remplis de venin derrière les oreilles, j'ai honte, je veux crever. C'est toujours pareil. Tu as tout le temps froid, tout le temps faim. Un kilo de biscuits pour chien à l'époque coûtait cinq francs, ou peut-être dix ? Non, c'est impossible, jamais tu n'aurais pu récolter dix francs. Cinq francs alors. Imbattable. Cinq fois, dix fois plus de biscuits qu'en contiennent les paquets destinés aux humains. Des biscuits ronds, ou carrés, ou triangulaires, ovales peut-être ? Tu ne sais plus, jusque que le plastique du paquet était transparent, teinté en jaune ou en orange peut-être, tu ne sais plus, que les sablés étaient de couleur caramel, de goût peut-être aussi ? Tu ne sais plus. Dessus on voyait... des voitures, des bateaux, des vélos, des ballons, des nounours, des poissons, des fleurs... Oui, des jouets étaient dessinés sur les biscuits pour chiens...
... Les araignées sont partout, mais les prédateurs ne sont pas des araignées. Ne sont pas des araignées les violents les violeurs. Ne sont pas des araignées non plus les flics qui te crient de lever les mains, qui te passent les menottes, te font tomber et te plaquent la joue au sol. Rugueux. Froid. Gravillons. Tessons. Contrairement aux araignées tu ne possèdes pas de ligne de survie. Par terre par terre, c'est toujours là que guettent les cloportes, par terre par terre tu te retrouves alors que tu aurais préféré rester high, au plafond. Les araignées foncent sur toi en masse. Leurs multiples yeux. Tu grelottes de peur. Et pourtant tu n'as rien fait. Et pourtant ce n'est pas toi. Tu as volé, mais rien pris, rien vendu. Et pourtant tu y as songé, à la valeur de ton corps, à la douceur de ton abdomen tatoué. Tu as envie de crier. Tu as envie de hurler mais tu restes silencieuse, comme les araignées. L'esprit es plus fort que le corps l'esprit est plus fort que le corps..."
Dehors recueil sans abri coûte 15 €. Il est parrainé par Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social de la ville de Paris.
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