Le roman se déroule à Paris au début des années mille neuf cent cinquante. Le Pernod rince les gosiers des soiffards et le papier carbone permet de taper en double à la machine à écrire. La jeune Thérèse, qui vit chez sa mère et entretient avec elle une relation pour le moins ambiguë, rencontre Marc dans un cinéma. L'individu photographie les mariages et propose ses tirages aux gens de la noce. Quand la mouise tenaille trop sévèrement son estomac, il fait la tournée des troncs dans les églises.
Thérèse et Marc se lient rapidement d'amour et le lecteur devine que l'histoire sera pleine de tumultes y compris dans les moments de bonheur. Thérèse aime dans le même temps Cécile, une institutrice éprise de musique. Les trois personnages se rencontrent dans la petite maison de l'enseignante et les ravages commencent. Thérèse pousse le totalitarisme de ses amours jusqu'à l'avilissement. Comment vivre dans une pareille tourmente, qui hante et que l'on hante ? Comment se supporter si l'on se considère pis qu'un déchet ? Une issue est-elle seulement possible ? Même dans les chimères ?
Thérèse finit par quitter Cécile et épouse Marc. Mais il fait lourd sous le ciel des amants. Très lourd. Le sperme n'est jamais loin de la pourriture...
Dans ce roman marqué par des éléments autobiographiques et publié en 1955 chez Gallimard, (repris en Folio), Violette Leduc apporte une nouvelle fois la preuve que la littérature c'est le style. Les dialogues taillés à la serpe subjuguent jusque dans leurs suspens, leurs silences.
" - Elle vous aime ?
- Je n'ai pas besoin qu'on m'aime.
- Qu'est-ce qui vous attriste ?
- De parler de cela avec vous, dit Marc.
- Je ne suis pas une femme.
- C'est vrai. Vous n'en êtes pas tout à fait une."
Mais c'est surtout le surgissement de la poésie qui étonne et séduit, par touches brèves ou plus dépliées, inséré dans le phrasé ordinaire comme un détour, ou, implacable, métaphorisant le naufrage de l'âme, presque surréaliste dans ses litanies.
En cela, l'écriture de Violette Leduc est d'une puissance rare. Des écrivains aussi différents que Simone de Beauvoir et Jean Genet ou encore Jean Cocteau l'admiraient. Cette admiration dure encore aujourd'hui. La vie de Violette Leduc est un roman en soi. Elle est également un film de Martin Provost, avec Emmanuelle Devos, Sandrine Kiberlain et Olivier Py.
Extraits :
" Je pense au garçon boucher qui fend les os dans les ténèbres. La nuit est régulière devant les barreaux, la viande, le sang. Je devine les taches infernales sur son tablier dont le cordon est le cordon d'un ordre anonyme, la roseur de l'anémone sur le jeune rosbif, les quartiers de martyrs auxquels il se cogne, les pattes sectionnées, les offrandes des moignons. La nuit entre les barreaux mendie d'autres tueries. J'aime la main éveillée du garçon boucher...
... Les étalons des haras se reposent en frissonnant sous leur plaid, moi je veille. Je suis la gardienne du sexe déchu d'un homme qui dort. Je ne le reçois plus. C'est lui qui me reçoit avec ma confiance. C'est tellement plus chaud, c'est tellement plus important qu'un bouton de coquelicot."
" Elle s'assit sur l'oreiller : ma tête tomba sur ses genoux. Ma mère me parfumait le coeur, elle le saupoudrait d'amour. Une petite fille se mariait enfin avec sa mère.
- Il neige, dit-elle.
Il neige : c'est un conte. Ma mère est mon enfant que je réchauffe sous mon jupon.
- Nous serons à l'abri dans l'ambulance, dit-elle.
Il neige. Elle me tient la main. Il neige. Je guéris de mon enfance et j'en meurs."
Image de Babelio.com
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