Je relis régulièrement Un printemps froid de Danièle Sallenave et mon émotion s'enrichit à chaque lecture de nouvelles teintes. Fragiles et cependant résistantes. Comme une mémoire à laquelle on revient forcément s'abreuver.
En onze récits tout en délicatesse, à la façon peut-être d'un Pierre Bonnard, Danièle Sallenave nous offre des portraits de petites gens. Des personnes âgées souvent, dans l'esquisse du quotidien le plus minuscule.
Une grand-mère reçoit une visite imprévue et s'excuse de n'avoir que des gâteaux secs à offrir. Un vieux père écrit une lettre à son fils et lui demande s'il y avait bien, autrefois, des poiriers dans le jardin de la maison de famille.
Parfois, c'est toute une vie qui défile. Au ralenti. Celle de Louise par exemple, toute tracée avant même que de naître. Enfance au front baissé, école quittée à douze ans, mariage sans chichis et tout l'ordinaire pareil, vécu presque sans s'en apercevoir, jusqu'à la fin.
Le lecteur se régalera aussi des menus travers du mundillo universitaire lors d'un colloque es lettres, de la tragédie silencieuse que vit un peintre reclus dans son atelier ou, encore, du crépuscule d'un vieux violoncelliste auquel on rend trop tard hommage... Parmi d'autres évocations toujours au plus près du sensible, qui pourraient tisser une sorte de biographie émotionnelle.
Extrait :
" Elle n'avait que des gâteaux secs, dit-elle, et derrière elle, dans le haut vitré de la porte, son double gris flottait, hochant symétriquement la tête. Si nous l'avions prévenue, elle aurait fait un gâteau, une tarte, bien que les prunes cette année ne soient guère bonnes, avec toute cette pluie en juin, ou bien elle serait allée en prendre une chez Marion, quoique ce ne soient pas de fameux pâtissiers, mais depuis que Renaudin a fermé (Renaudin avait fermé, lui aussi ? Oui, tous, l'un, puis l'autre) il faut bien en passer par eux. L'été, elle n'allume pas la cuisinière et la tarte, n'est-ce pas, ça ne se fait pas au gaz. Tout en parlant, elle reculait dans l'entrée de la pièce sombre au plafond haut, les joues marbrées de taches roses, et relevait sur le côté ses cheveux échappés du peigne ; tandis que de l'autre main elle tentait de saisir au collier, à travers les poils touffus de son cou, le chien qui s'était jeté dans nos jambes et montrait ses dents jaunes."
Publié en 1983 par les éditions P.O.L, Un printemps froid de Danièle Sallenave est disponible en Points-Seuil.
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