La
quête de la beauté est d’autant plus tragique que la banalité du mal, agi et
subi, domine l’homme depuis ses commencements. Cette question philosophique
majeure traverse de part en part, crible pourrait-on dire, le Confiteor de Jaume Cabré, roman de neuf
cents pages. Hannah Arendt, Theodor Adorno,
Paul Celan, Primo Levi accompagnent évidemment le professeur Adrià
Ardèvol dans ses recherches.
Auteur
d’une volumineuse Histoire de la pensée
européenne saluée par la critique, parviendra-t-il à écrire l’histoire du
mal ? Aura-t-il le temps de se réconcilier avec l’insaisissable Sara
Voltes-Epstein qu’il aime et qui l’aime ? Amènera-t-il son ami Bernat
Plensa à renoncer à publier de mauvais romans
pour se consacrer exclusivement à la musique où il excelle ?
Il
faudrait poser la question au shérif Carson et au glorieux Aigle-Noir de la
tribu des Arapahos. Ils ont veillé sur Adrià quand il était enfant. Ils lui ont
donné l’affection dont il manquait et continuent d’intervenir, en crachant par
terre s’il le faut, dans les conversations auxquelles ils ne sont pas invités.
Autant
le reconnaître d’emblée, cette œuvre de Jaume Cabré est totalement
indéfinissable. Toutes sortes d’aventures y foisonnent, celle d’un violon
Storioni notamment, depuis la forêt où son bois a poussé en Catalogne il y a
plusieurs siècles jusqu’à une maison de retraite à Amsterdam dans les années
deux mille, en passant par le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau…
Les
personnages, comment pourrait-il en être autrement, sont à la mesure des
dédales qui brouillent et confondent les espaces (monastères, ateliers de
luthiers, salles de tortures au Vatican et en Allemagne, cabinets de
curiosités, bibliothèques, chambres à coucher, musée à Tübingen et rues de
Barcelone, cimetière…) : on ne peut jamais être sûr qu’ils sont là et pas
ailleurs, dans ce temps et pas dans un autre.
Jaume
Cabré l’a voulu ainsi dans la structure de son ouvrage. Dans une même phrase, sans aucune transition, le narrateur Adrià passe du je au il en parlant de lui. Dans un même paragraphe,
un bourreau de l’Inquisition au Moyen Age qui suspend un blasphémateur à un
croc de boucher devient un bourreau allemand qui dépèce un enfant juif pour
tester sa résistance à des produits chimiques. Le lecteur devine ce que les
identités multiples ont en commun de volonté fanatique quand il s’agit
d’exercer le mal y compris pour atteindre et s’approprier la beauté, celle de
la musique tout particulièrement, laquelle est omniprésente dans ce terrifiant Confiteor. Personne ne sortira épargné
de ce roman par ailleurs polyglotte et pour cause... Pas même les figurines de
plomb du shérif et de l’Indien.
Les
personnes intéressées par l’univers de Jaume Cabré peuvent consulter les articles
de Philippe Lefait et Laurent Mauvignier en cliquant sur les liens de l’encyclopédie
Wikipédia. Il y a aussi des interviews.
Traduit
du catalan par Edmond Raillard, Confiteor de Jaume Cabré est disponible dans la
collection de poche Babel.
Image courrierinternational.com
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