Les choses de Perec. Ma troisième lecture dans l'exemplaire que j'achetai en décembre 1975, à la librairie Gibert qui tenait l'angle de la place Pey-Berland et du cours Alsace-Lorraine. Pour Noël. Payé quatre francs.
Je ne vais pas raconter cette non histoire archi connue d'un couple d'étudiants besogneux qui deviennent enquêteurs pour des agences de publicité à Paris et en province. Je tairai comment ils se rabougrissent lentement, rongés par le désir de posséder des choses toujours plus belles, toujours plus nombreuses, dans des espaces toujours plus vastes, toujours plus lumineux. Comment tout autour d'eux devient fade, visages et paysages. Et c'est toute la vie marquée au sceau de la fatigue, de la mort lente... Alors, on a beaucoup dit qu'il y a de la sociologie dans ce roman implacable sur le consumérisme au début des années mille neuf cent soixante. Sans doute l'a-t-on trop dit à l'époque, par commodité critique, par emballement des plumitifs condamnés à la pige...
Refermant le livre, j'ai plutôt le sentiment que c'est la mélancolie qui domine, une mélancolie déjà là, sournoise, un peu désabusée, et elle submerge le lecteur au fur et à mesure que Jérôme et Sylvie se mettent à renoncer. En ce sens, ou plutôt en cette privation de sens, Les choses sont une préfiguration de Un homme qui dort. Ou du superbe récit bref qu'est Lieux d'une fugue. Publié par feue la revue Présence et regard de Jean-Luc Maxence (laquelle voulut bien de mon premier poème en mille neuf cent soixante-treize) avant de paraître au Seuil en mille neuf cent quatre-vingt-dix.
Et puis l'écriture de Perec. Cette rigueur, cette précision parfaite dans la désignation des états comme des choses, cette beauté à la limite du soutenable, cette poésie et ses émanations à faire pleurer.
Et puis tous ces souvenirs que j'ai de La vie mode d'emploi, seul livre que je fis relier pour la somme de trois cent cinquante francs en mille neuf cent quatre-vingt-un, en compagnie d'un ami tôt disparu, d'un autre toujours vivant mais malade et de ma compagne sans laquelle je serais peut-être mort moi aussi. Le relieur se trompa et imprima Gorges sur le dos de cuir noir. On me moqua gentiment pour ne pas m'en être aperçu... En revanche, lorsque j'ai lu le roman, j'ai tout de suite prédit qu'il aurait le prix Médicis et il l'a eu.
Voilà. Je voulais recopier un extrait et les forces me manquent. Mélancolie. Aurai-je le temps d'une quatrième lecture ?
Rappel :
Les choses, 1965
Un homme qui dort, 1967
La vie mode d'emploi, 1978
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