" La prise du pouvoir par les Jeunes-Turcs à Constantinople, en 1908, est initialement bien accueillie par les militants arabes, d'autant qu'elle s'accompagne d'une plus grande liberté de la presse (d'où la publication de seize journaux arabes à Bagdad, douze à Beyrouth et six à Jérusalem). Mais le nationalisme turc de plus en plus affiché des nouveaux dirigeants entre en conflit avec la sensibilité arabe, d'autant qu'ils paraissent au moins passifs, au mieux complaisants, envers l'immigration juive en Palestine. Le mouvement sioniste, fondé par Theodor Herzl en 1897, est un moment tenté par une implantation en Ouganda. Cette option est rejetée après la mort d'Herzl en 1904, d'où une alya (montée) vers la Palestine qui va, en dix années d'immigration soutenue, amener les Juifs à constituer un dixième de la population de cette province ottomane.
Deux frères chrétiens de Jaffa, les Issa, lancent en 1911 le journal Palestine pour dénoncer la menace sioniste) et la complicité ottomane. Des sociétés secrètes se créent sur le modèle italien, tel Al-Fatat (La Jeunesse) en 1911, ou Al-Ahd (Le Pacte) en 1913. Ce dernier groupe est structuré autour d'officiers arabes de l'armée ottomane, scandalisés par la perte de la Libye par les Jeunes-Turcs au profit de l'Italie. Un "Congrès arabe" se tient même en juin 1913 à Paris, à l'initiative de nationalistes syriens et égyptiens. Mais ce Congrès a beau se conclure par un vibrant "Vive la patrie arabe !", il est dénoncé en Palestine pour n'avoir pas soulevé la question sioniste, sous la pression des "hôtes" français.
Le monde arabe du Congrès parisien de 1913 est radicalement différent de celui de l'expédition d'Egypte de 1798-1801. L'Algérie est sous le joug français depuis 1830 et le Maroc vient de passer sous le double protectorat de la France et de l'Espagne. La Libye est tombée, en 1911, sous la coupe d'une Italie bien décidée à se tailler sa part de l'accaparement colonial. Quant à la Grande-Bretagne, elle a entamé à Aden en 1839 son implantation sur la côte méridionale et orientale de la péninsule Arabique, poursuivie avec méthode d'Oman jusqu'au Koweït.
La Renaissance arabe a été une entreprise multiforme d'émancipation intellectuelle, d'affirmation nationaliste, d'aggiornamento islamique, de développement économique, de rationalisation administrative et d'avancées institutionnelles. Ja mais autant d'Arabes n'avaient été en relation avec d'autres Arabes, au sud de la Méditerranée comme dans la diaspora, en vue de façonner une vision des Lumières qui leur soit propre, enracinée dans une langue, une culture et une fierté nationales. Une ambition aussi vaste ne pouvait que déboucher sur des résultats contrastés, souvent frustrants.
Les Arabes de la Nahda* ont été meurtris de leur impuissance à endiguer l'expansion coloniale. Les deux dynasties modernisatrices d'Egypte et de Tunisie, affaiblies par des crises financières à répétition et par le refus populaire de la conscription, ont dû se soumettre à Londres et à Paris. La synthèse arabe entre le nationalisme et l'islamisme, galvanisée par la récente poussée sioniste, ambitionne dès lors de réaliser ses aspirations à la faveur du premier conflit mondial. C'est pourtant une nouvelle défaite historique qui attend les Arabes.
(pages 38 à 41)
Note du copiste : Mouvement intellectuel de renaissance en Tunisie.
image de Mohamed Bouazizi, 1984-2011, immolé par le feu en Tunisie.
image de Mohamed Bouazizi, 1984-2011, immolé par le feu en Tunisie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire