Insta, c'est un peu comme Mimi ou Gégé au bistrot du coin. Un bon copain qu'on a dans sa poche. On passe avec lui des moments agréables après le café du matin, les coudes sur la table. On lui présente le chat de la maison taquinant le brin d'herbe qui rebique au fond du jardin. Si l'animal porte beau, on porte beau aussi, on plastronne à ses côtés, le regard humide. Et si c'est un chien de race, puissant de préférence, acheté à prix d''or, le plastron double de volume. Mais qui est vraiment le maître de l'image ? Une voiture de marque allemande accompagne parfois le chien qui n'en demande pas tant. Les chromes de la calandre vident de tout effet le lustre du pelage. Plus c'est clinquant, plus ça clique.
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On retrouve Insta à la pause de dix heures. Juste le temps de voir s'il y a du nouveau. Manquer le nouveau, c'est perdre pied. Comme le nageur en eaux troubles ou l'apprenti alpiniste qui tremble sous l'horizon. Alors on n'écoute pas les litanies du collègue aigri de l'estomac. On oublie l'oiseau sur le muret du parking. Il se mettrait à roter qu'on ne s'en apercevrait pas. La vie tient tout entière dans l'écran du téléphone. Les pixels ne débordent jamais du cadre. L'image reste contenue. Il le faut. On aurait sinon des gestes trop amples. On dirait des mots qui feraient froncer des sourcils. Les sourcils prennent facilement ombrage quand on n'est pas à sa place.
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On voit la secrétaire derrière sa vitre et on devine qu'elle ne travaille pas. Elle est avec Insta. C'est son copain aussi. Elle lui sourit, fait des mimiques. On a beau savoir qu'Insta a des millions d'amis, on serait presque jaloux. On ironise. La secrétaire est ridicule. Ses selfies font doucement rigoler. Trop de rouge à lèvres escamote les lèvres. Trop de vernis à ongles coupe les mains. Et puis, hein, passé un certain âge... La secrétaire devrait prendre exemple sur la fille de la comptabilité. Elle garde ses distances avec Insta. Un copain n'est pas un confident. S'exposer en décolleté fait mauvais genre. Elle préfère photographier des cailloux. Au bord des routes, des rivières et des plages, des allées forestières, le choix est vaste. Une fois, comme elle boite sans savoir pourquoi depuis son enfance, elle a photographié un caillou imaginaire, dans sa chaussure.
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A la pause de l'après-midi, la fatigue change un peu les rapports avec Insta. La lumière est plus grise. Le doigt glisse mollement sur les images. Le regard confond les paysages dans une même coulée de bleus et de verts sans à-coups. Quelques visages passent avec des cernes qui ne partiront plus. On regarde Gégé penché sur son gobelet de lavasse. Il a du jaune autour des yeux, ça lui viendrait du foie. On retient un soupir. La vraie vie n'est pas plus vraie que la fausse est fausse. On reprend le travail, encore deux heures, en essayant de marcher droit.
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