Depuis deux mois, je reçois à mon domicile des soins infirmiers quotidiens. Carole D***, Malorie S*** et Sarah B*** veillent sur une cicatrisation abdominale qui joue les prolongations. Malgré des journées de travail éprouvantes dans un quartier blessé par la misère sociale, elles savent accorder à leurs patients le supplément d'âme de la conversation, s'attardent deux ou trois minutes qui soignent aussi.
Au fil des jours, des portraits s'assemblent lentement. Dont j'invente les visages sous le masque sanitaire, portés par les voix et les rires dès potron-minet. Ces trois infirmières, comme tout un chacun, sont autant des personnages que des personnes. Elles racontent des petits bouts de leurs joies ordinaires, celles où les souvenirs s'enracinent plus sûrement, plus longtemps. Un voyage au pays des maringouins, une longue traversée de l'Espagne avec enfants à bord et les heures ne comptent rien dans la voiture quand le soleil brille même couché, ou, périple plus immobile mais non moins fécond, la contemplation d'une bibliothèque menacée d'hypertrophie.
Il me plaît d'imaginer que ces portraits de femmes qui incarnent trois générations n'en font qu'un. Celui de la vie au service de la vie quand le corps va de guingois. Trop souvent ignoré, voire dédaigné par ceux qui n'ont rien dans le regard. Et je repense à Camus, cet homme de peu venu d'outre-Méditerranée pour enchanter la langue. Il disait qu'il y a chez l'homme plus à admirer qu'à mépriser, faisant écho au vers de son ami René Char : "Dans mon pays on remercie".
Alors voilà, en ces temps que nous vivons, plus incertains que jamais, où la pensée peine à ouvrir des chemins sûrs, où la gangrène des chimères empeste, je remercie Carole, Malorie et Sarah.
Continuez, mes chères, à inventer le "roman sans cesse médité" de l'éternel humain.
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