Dans les années mil neuf cent soixante-dix, la population japonaise est vieillissante et l'allongement de la durée de la vie complique singulièrement la cohabitation des personnes âgées avec leurs enfants. Mais c'est la tradition et peu de familles y dérogent. De toute façon, le service public des maisons de retraite n'offre pas des conditions décentes aux résidents, jusqu'à six par chambre, et n'accueillent pas ceux qui souffrent de pathologies mentales. Quant au système privé, il est inaccessible aux budgets ordinaires.
D'autre part, autre tradition japonaise bien ancrée y compris chez les plus jeunes, seules les femmes effectuent les tâches ménagères même si elles ont un travail à l'extérieur. C'est le cas d'Akiko. Secrétaire à plein temps dans un cabinet d'avocats, elle s'occupe de Shigezo, son beau-père sénile. Son mari, le fils du vieil homme donc, ne fait rien car la situation l'angoisse et il n'hésite pas, le dimanche, à partir jouer au golf. Et leur enfant, qui prépare ses examens d'entrée à l'université, ne fait rien non plus.
Akiko est bien seule. Elle n'aime pas Shigezo porté depuis toujours à la tyrannie domestique et, quand le médecin lui prescrit des gouttes pour dormir, elle imagine qu'il suffirait d'augmenter la dose pour que le cauchemar prenne fin. Le vieillard se réveille souvent la nuit en hurlant au voleur et fait plusieurs fugues dans les rues de Tokyo. Malgré la désapprobation du voisinage, il faut se résoudre à appeler la police. Puis la situation s'aggrave. Désormais aphasique, Shigezo cède parfois à la violence. Au point d'arracher d'un mur un urinoir pourtant bien vissé. Ses excès le conduiront même à barbouiller de ses excréments les tatamis de la chambre qu'Akiko s'oblige à partager avec lui...
Le crépuscule de Shigezo de Sawako Ariyoshi est un roman qui saisit le lecteur par la précision de ses descriptions du quotidien. Les soins prodigués au vieil homme sont méticuleusement énumérés, notamment ceux de la toilette la plus intime. Les états d'âme d'Akiko, qui vont de la révolte à la compassion, sont nourris par une inquiétude plus générale. Elle et son mari auront bientôt cinquante ans. Deviendront-ils séniles eux aussi ? Leur fils et sa femme les garderont-ils sous leur toit alors que la jeunesse estudiantine japonaise souhaite s'affranchir des anciens carcans ? Tiraillée entre la nécessité s'accomplir son devoir sans mauvaises pensées et son désir de modernité, les femmes sont encore assez rares à exercer un emploi rémunéré, Akiko trouvera cependant un peu d'apaisement avec le secours d'un oiseau. Un peu de poésie dans un roman réaliste pour dire que rien n'est jamais définitivement perdu.
Le crépuscule de Shigezo a connu un énorme succès au Japon en 1972. Ecrivaine engagée dans les débats sociétaux de son époque, Sawako Ariyoshi a reversé une partie importante de ses droits d'auteur à des structures caritatives et les controverses publiques auxquelles son livre a donné lieu ont permis la création de nouvelles maisons de retraite.
Le livre est disponible en Folio.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire