Le décloisonnement des savoirs et de leur perception n'est pas une idée neuve. Des encyclopédistes du XVIIIème siècle à Edgar Morin, la nécessité de la transversalité pour mieux appréhender la complexité du monde en évitant les biais du réductionnisme est l'objet de nombreux ouvrages de sciences humaines.
Les travaux de Siri Hustvedt s'inscrivent dans ce chemin-là, sans frontières artificielles entre corps et esprit, raison et émotion, intérieur et extérieur. Lesquelles sont un étouffoir où moisissent les préjugés.
"La neurobiologie, l'anthropologie, la physique et la psychanalyse...sont comme des Etats ou des pays séparés, chacun existant à l'intérieur de ses propres frontières soigneusement tracées. Une spécialisation extrême peut rendre difficiles, voire impossibles, des dialogues par-delà les frontières. Des champs de connaissances différents se fondent sur des postulats différents qui, à leur tour, créent différentes manières de percevoir et comprendre le monde. Ces postulats, profondément ancrés, ne sont pas toujours apparents. Parfois, ils sont invisibles, ils sont l'objet d'une sorte d'accord tacite parmi tous ceux qui travaillent au sein de la discipline en question, qu'il s'agisse de la physique ou de l'histoire. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de disputes à l'intérieur d'un champ donné. Chacun accueille en son sein de forts nombreux débats, mais ceux-ci portent rarement sur les questions fondamentales... De temps à autre, il arrive que les personnes qui travaillent dans le champ en question constatent que les lignes de démarcation qu'ils avaient tracées entre une chose et une autre, que le sol dont ils supposaient qu'il soutenait l'ensemble commencent à se craqueler, à s'effriter. On le constate...de façon évidente dans les sciences expérimentales. Des expériences réitérées révèlent que quelque chose d'inattendu, dont on ignorait l'existence, existe en fait bel et bien, et les personnes travaillant dans ce champ se voient sommées de réviser du tout au tout leurs postulats de départ, de tracer de nouvelles lignes de démarcation et de penser dès lors de façon différente."
"Nous considérons comme chose acquise que la peau de l'homme est sa propre frontière. Mais toute personne a été un jour un agglomérat de cellules en division à l'intérieur du corps d'une autre personne ; et ses rêves, ses inquiétudes et la nourriture qu'elle ingérait ne peuvent être séparés de l'être embryonnaire qui est un jour devenu un foetus et, dès sa naissance, un nouveau-né - nouveau-né qui passa l'année suivante à se cramponner à cette autre personne ou à quelqu'un d'autre avant de marcher tout seul. Et pas plus l'adulte n'est-il un être entièrement indépendant. Toute personne a des orifices ouverts sur l'extérieur. Il ou elle voit, entend, touche, sent, respire, mange, urine, défèque, se mêle à d'autres corps lors de rencontres érotiques, aime, hait, souffre, pense et imagine."
Nous verrons à ce propos dans un autre article, ce qu'écrit Siri sur la fécondation et l'accouchement, avec ces oppositions encore trop souvent affichées entre pureté mythique de l'homme et impureté maléfique de la femme et de son corps. Par exemple, le placenta n'est pas le lieu étanche où le bébé à naître est protégé des complexités cellulaires de la parturiente. Garantissant ainsi à la future progéniture mâle toute sa puissance exempte d'insanités. L'obstétrique réduite au seul savoir de sa spécialité continue, encore aujourd'hui, de véhiculer de sottes et stériles dichotomies.
Image : Blue days and Pink Days de Louise Bourgeois. Dans son essai Deux à la fois, présent dans ce volume, Siri évoque longuement Louise Bourgeois et nous y reviendront en abordant le microchimérisme qui lie intimement la mère et son enfant in utero.
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