Je me souviens de Baudelaire, humble bien qu'il ait pu tenir la pose du savant, de ses mots sur l'art. Un duel perdu d'avance par l'homme, quoi qu'il fasse.
Je crois qu'il est salutaire de garder cela à l'esprit, pour écrire de la poésie. Trop d'auteurs donnent à lire des vers seulement convenables, qui ne sont pas assez tenus. Une métaphore parfois suffit pour jeter à bas le poème. Un adjectif de trop et c'est la débandade des sens et du sens.
Je n'ai pas la prétention de livrer ici ma conception de l'art poétique. Mais tout de même ! Prenez, par exemple, un poème de Thierry Metz ou d'Antoine Emaz. Cherchez, scrutez, traquez sans pitié l'excès de matière ! Réitérez l'expérience avec un tamis encore plus serré. Qu'y reste-t-il ? Rien. Aucun résidu. Le poème tient, c'est tout. Il n'est pas obligatoirement beau, il y a lurette que la poésie s'est affranchie de la beauté, mais il est obligatoirement juste. Le lecteur, toujours, reconnaît cette justesse du poème, qu'il l'éprouve ou non. Mais qu'est-elle donc, pour celui qui écrit dans cette recherche-là ? Bien difficile à dire. Je crois qu'elle se trouve dans la matière même, au moment exact où elle se compose. La question du signifié lui est postérieure, ne serait-ce que d'une seconde. Et de là surgit toute complication. Un poème juste à huit heures quarante ne l'est plus à huit heures cinquante. Il fuit de partout. On a un mal de chien à le rattraper. On le jette ou on le reprend. Mais on ne se trouve pas forcément dans la même tension émotionnelle à huit heures cinquante que dix minutes avant. Une course de vitesse commence entre la matière et la justesse que l'on souhaite retenir. Une course de vitesse ou un duel, c'est pareil. On perd toujours. Essayons alors de nous en tirer au mieux. Avec cette exigence de la traque.
Enfin, évidemment, j'enfonce la porte ouverte de l'absolue nécessité de la lecture des aînés prestigieux. Croyez-vous un seul instant qu'Apollinaire serait devenu Apollinaire s'il n'avait croisé en chemin Rimbaud et Mallarmé ? Mais attention ! Il ne s'agit pas de les lire comme ci comme ça, dans le presque. Il faut plonger dans leur mer dégelée, clin d'oeil à Kafka, s'emparer de leur hache puis se fendre en deux. Et il vous reste tout ce que la vie voudra bien vous accorder pour tenter de recoller vos morceaux. Un projet poétique qui en vaut un autre, porté par la plus grande des lucidités.
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