Charognards, de Stéphane Vanderhaeghe, est un objet littéraire non identifié et non identifiable. " On pourrait presque y voir une allégorie - sauf qu'elle m'échappe, à moi, si tel est le cas." Puis l'auteur ajoute que c'est peut-être un canular. L'histoire de ce livre dont les pages ne sont pas numérotées, (le lecteur comprendra vite pourquoi), tient en une phrase : le narrateur choisit de rester seul dans son village envahi par toutes sortes de corvidés charognards et rédige une espèce de journal, sur un carnet où il note les mouvements des oiseaux et sur un cahier où il essaie de capturer avec des mots improbables ce qui lui passe par la tête et le corps.
Mais cela dit, rien n'est dit du tout. Ou alors c'est autre chose qui se joue. Autre part. Stéphane Vanderhaeghe est clair dans l'opacité même :" J'aurais imaginé un village cerné de camions de télétransmission, leurs bras-satellites déployés au-dessus de nous comme autant d'imprécations lancées à la nuit éplorée... J'aurais imaginé un débarquement de bonshommes engoncés dans des combinaisons futuristes, qui lentement s'enfoncent dans les venelles en déployant une force quasi surhumaine pour lutter, leurs grosses bonbonnes dans le dos, contre la gravité... J'aurais imaginé que rien de tout ça n'ait eu lieu."
C'est que les corvidés charognards ne provoquent ici aucune catastrophe à la Hitchcock ou à la Spielberg. Ils ne dépècent pas les corps mais la langue. La langue qui fixe la mémoire. La langue qui partage le temps et ses durées. La langue qui nomme les perceptions et les émotions. Leur inépuisable patience conduit lentement le narrateur au charognage de lui-même. Et toute l'humanité sombre dans le même puits. " ... au fond, on est - je suis, ne suis plus rien d'autre que ce langage moribond que je couche sur ces pages, le pur produit de ce langage dans lequel "je"me creuse une galerie comme un ver la carcasse qui l'a fait naître, pure langue d'apparat à jamais illisible sous ce fol fatras que je n'adresse à personne."
Cette auto dévoration constitue une remise en cause radicale (et forcément paradoxale) de l'idée de la littérature. Toute énonciation devient impossible quand hier se confond avec demain, quand le vrai ne peut plus se séparer du faux, quand la matière même de l'écriture cloque comme une peau malade.
Il faut lire avant qu'il ne soit trop tard cette première oeuvre publiée par les éditions Quidam. Car, somme toute, une allégorie traverse bien ce livre : celle de la fin de l'homme, cet être de langage. Dans mille ans, les corbeaux se souviendront de nous, avec la langue qu'ils nous auront prise...
Cette auto dévoration constitue une remise en cause radicale (et forcément paradoxale) de l'idée de la littérature. Toute énonciation devient impossible quand hier se confond avec demain, quand le vrai ne peut plus se séparer du faux, quand la matière même de l'écriture cloque comme une peau malade.
Il faut lire avant qu'il ne soit trop tard cette première oeuvre publiée par les éditions Quidam. Car, somme toute, une allégorie traverse bien ce livre : celle de la fin de l'homme, cet être de langage. Dans mille ans, les corbeaux se souviendront de nous, avec la langue qu'ils nous auront prise...
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