Fabiano,
vacher, fuit avec sa famille la sécheresse du serta᷉o au nord est du Brésil et
s'installe dans une ferme abandonnée au délabrement. La faim, la soif, la
fatigue desserrent un moment leur étau. La subsistance s'accommode comme elle
peut du dénuement. Sous le ciel redevenu presque accueillant, l'espoir pourrait
retrouver des couleurs. Même la chienne Baleine le devine. Mais tout ici est
hostile. La terre avare, les urubus qui décavent les yeux des cadavres, l'eau
croupie au creux des craquelures et des calebasses, les épineux tordus comme si
la douleur les avait pris depuis toujours. Les serpents et les hommes. Les
hommes qui sont des serpents. Propriétaires blancs des lopins et des troupeaux.
Petites frappes blanches de la police et tabellions fielleux de la préfecture,
blancs aussi...
Comment,
en pareille malédiction, ne pas se ravaler soi-même au niveau de la bête ?
Condamnée à l'errance pour ne pas crever.
Cette
terrible question confère à Vies arides du Brésilien Graciliano Ramos un
caractère implacable dans son écriture même. Le ton est nu, quasiment clinique
malgré la ritournelle du souvenir (le perroquet qu'il a fallu sacrifier pour ne
pas mourir de faim, le lit confortable de monsieur Tomás alors qu'on couche sur
des rondins perclus de nœuds...) Le style est dépouillé à l'extrême, ponctué de
rares dialogues lapidaires en suspens, de grognements répétés comme se répète
la misère (han ! han ! hum ! hum ! bien ! bien ! quoi ? quoi ? enfer ! enfer
!). Une bête ne parle pas. Une bête crie, donne des coups de pied ou, soumise
même quand se présente l'occasion de la revanche, courbe l'échine pour en
recevoir...
Fabiano
dit qu'il est comme une bête. S'insurge. Rêve qu'il se révoltera contre les
soldats jaunes, les commerçants voleurs, les patrons affameurs, le monde
entier. Dit qu'il est un homme. Oui. Oui. Un homme fort et rapide à manier son
coutelas. Séducteur en plus. Il faut le voir sur un cheval à dompter, si beau
si fier. Sa femme Vitória le sait, s'en souvient. Ô combien ! Puis, plus direct,
terrassé par le mépris dont lui-même se dévore : "Je suis une bête."
Ses talons crevassés ont durci comme les sabots des chèvres. Ses ongles sont
des griffes pour atteindre l'eau sous le sable du fleuve à sec. Ses émotions et
ses pensées minent jusqu'au sang son monologue intérieur. Font écho à celles de
la chienne Baleine qui devient au fil du récit un personnage plus humain que
les humains.
Graciliano
Ramos, écrivain engagé et proche des idées communistes, (il deviendra membre du
parti), a publié Vies arides en 1938, après avoir connu les geôles de la
dictature fasciste. Son roman a paru une première fois aux éditions Gallimard
en 1964 sous le titre de Sécheresse (à mon avis préférable). La version
dont je fais part a été traduite par Mathieu Dosse pour le compte des éditions
Chandeigne en 2014. Une préface de Michel Riaudel l'accompagne ainsi qu'un
glossaire sur la flore du Nordeste.
Lisez
ce roman considéré comme l'une des œuvres majeures du XXème siècle.
Image https://thefondreader.wordpress.com
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