Comment nommer les choses qui apparaissent au regard si les mots font défaut ? Sommes-nous à ce point prisonniers de notre "forteresse de viande et d'os"? Notre mémoire est-elle si malade ? Comment le mouvement entre le dehors et le dedans peut-il advenir s'il s'agit de "vivre et mourir par inadvertance"? En quel peu ? se demande Michel Bourçon dans Demeure de l'oubli.
Et c'est bien cette tentative d'identification du peu qui parcourt son oeuvre. Un simple survol de sa bibliographie en atteste, (Carnets de petits riens, Pour si peu, Poèmes de peu, Peu dans le bleu, Pratique de l'effacement, Le moindre geste, Ce peu de soi...)
Le concept de peu est exploré par l'anthropologie (gens de peu/objets de peu) autant que par la philosophie qui s'aventure aux marges du rien avant le vertige du vide. En ce sens, Michel Bourçon fait oeuvre de philosophe traversé par des questionnements anthropologiques.
Mais il est avant tout résolument poète, dans la pleine conscience de la fragilité de l'acte d'écriture pour approcher l'essentiel humain qui se dérobe. De très grands poètes comme Thierry Metz, Antoine Emaz ou James Sacré, pour ne citer que des contemporains, ont creusé ce sillon entre terre et ciel. Il se trouve, nous l'avons déjà dit ici, que Michel Bourçon est un très grand poète. Qu'il me pardonne de le répéter !
Extraits :
Où vont les heures, le souffle du printemps n'emporte pas ce on ne sait quoi qui stagne entre vitres et ciel, un mot vient en tête puis s'en va, on habite un vide d'être que la lumière dévoile aux bêtes qui nous regardent passer en ne soulevant que la poussière qui nous attend, de toute éternité.
Parfois, une fenêtre s'ouvre en nous, libère des ombres semblables à celles de grands rapaces, que la terre absorbe. Quels mots conviendraient alors, pour dire ce dans quoi on entre, sans fardeau, sans le sentiment de traîner les pieds derrière soi, ainsi, en levant la tête, nous voyons nos pensées changer de forme et les oiseaux jardiner le ciel.
Par notre présence, nous ignorons ce dont nous témoignons, ici-bas. Nous mâchons notre mémoire, des visages, des mots, nous digérons tant de choses vues, pour demeurer dans le vide avec les mains reposant sur la table, comme des bêtes fourbues qui se souviennent du corps d'une femme.
Sur la page, les mots sont des insectes morts et, à l'intérieur du corps assis à cette table, quelqu'un d'englouti peine à se faire entendre, marche durant des heures à l'aide de ce véhicule de chair et d'os, s'étonne encore d'avoir une ombre en traversant le bleu jusqu'à ce blanc immaculé d'où surgira l'hécatombe.
Demeure de l'oubli de Michel Bourçon est publié aux éditions p.i.sage intérieur. (10 €).
image p.i.sage intérieur
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