Un banc de pierre sur la place d'un village en Espagne. Il est si haut que les pieds des "désoeuvrés" ne touchent pas le sol. C'est mieux pour comprendre le théâtre de la vie. C'est mieux pour attraper au vol les rêves des gentilshommes de fortune.
Il y a Esteban Tejedor, le livreur de lait qu'on dit simplet. Héritier d'un très ancien et très prestigieux lignage, il revendique le trésor de Belmiro Ventura qui lui apportera gloire et amour.
Ce vieil érudit au corps inaccompli, professeur d'histoire besogneux, est de la famille d'Esteban mais de la branche cadette. Il doit rendre ce que ses ancêtres ont volé aux Tejedor pendant des siècles. On l'y contraindra si nécessaire.
Il y a Luciano Obispo, (obispo veut dire évêque en espagnol) engendré par un Saint revenu sur Terre et destiné à la prêtrise. Les voies du Seigneur, quand elles sont pénétrables, débauchent souvent sur des chemins de traverse... Le jeune Luciano, fort vigoureux, paiera cher ses coupables égarements.
Il y a Julio Martin Aguado, chroniqueur du village. Admirateur d'Alexandre le Grand et modérateur talentueux des conflits ordinaires, il se lance en politique et se voit devenir chef du gouvernement.
Il y a aussi Amalia Guzmàn. Encore célibataire à trente ans, elle n'a jamais supporté que quelqu'un lui touche le nez... Ses poèmes vaporeux paraissent régulièrement dans la feuille de chou locale. La mélodie En regardant la mer, qu'elle joue au piano, séduit aussi bien le vieux Belmiro que le jeune Luciano. Un orage pourrait gronder. Un orage grondera...
" Personne ne pouvait imaginer alors que ces épisodes étaient des morceaux épars qui finiraient par s'assembler pour former une seule histoire, ni que chaque personnage, avec ses actes insignifiants de tous les jours, travaillait déjà à un même dénouement implacable.", écrit Luis Landero en rassemblant son troupeau pris dans la tempête annoncée.
Gentilshommes de fortune est un roman aux accents picaresques, le Lazarillo de Tormes est du reste cité, et dit, sur le ton de la farce ou de la satire, parfois avec tendresse, l'empêchement des songes creux à changer la vie. La fortune, c'est bien connu, ne sourit qu'aux audacieux. Les rêves, tout penauds, rentrent dans leur coquille. Le souffle de l'histoire passe au large et éteint les feux de la rampe, réduisant l'humain à ses petites conditions.
Le lecteur appréciera l'écriture de Luis Landero, ses longs plis et déplis, sa gourmandise des énumérations comme un bric-à-brac oulipien énonçant l'improbable. Il pourra penser à l'univers de Marcel Aymé ou à celui, éventuellement, d'Italo Calvino dans ses allusions philosophiques, la jolie Amalia tenant le rôle d'une vicomtesse pourfendue...
La littérature, c'est le style, tonnait Flaubert. En voici une nouvelle preuve.
Gentilshommes de fortune de Luis Landero est publié aux éditions Gallimard.
image gallimard.fr
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