dimanche 9 juillet 2023

Miguel Angel Real, Como dados redondos (traductions)

 

Qu'un coup de dés abolisse ou non le hasard, si les dés sont ronds rien ne va plus sur le tapis de la réalité. Elle perd la face. Elle n'a plus de bords. Elle est liquide. Et l'espace comme le temps vont cul par-dessus tête. Le corps et l'esprit s'épuisent à chercher du sens à l'existence. L'étendue de la part inconnue en chacun de nous, maudite ou non, n'est pas mesurable.

A propos de Como dados redondos, (traduit par Comme un dé rond pour éviter la dissonance), de Miguel Ángel Real, le poète Homenic Fuentes écrit : "Ce recueil de poèmes reflète la dureté de la vie et, partant de là, l'auteur partage avec nous des réflexions philosophiques qui essaient de décrire et d'affronter les ténuités de la temporalité".

La mer traverse et inonde le livre de bout en bout. Mais comment en remonter le courant "avec des rames fragiles comme des ailes" ? Pour aller vers quels paysages  de sable ou de forêt ? A la rencontre de quelle mémoire enfouie ? De quelle douleur, qui enferme et la chair et la pensée ? Le naufrage est un destin, La mer : une absence, titre Miguel Ángel Real dans les deux premiers mouvements de son recueil. Mais cette absence est également présence obsédante "dans les jardins, dans la douleur des pas, dans les cigognes, dans l'herbe jaune la mer, dans les chiens assoiffés. Et dans ton regard..." 

Le visage du souvenir de l'aimée, qui est partie loin, très loin, sans cesse se recompose au hasard du quotidien, qu'il tourne rond ou roule de travers. Une longueur de toile rouge choisie avec elle ressemble soudain aux ailes des papillons morts oubliés derrière une commode. La quête du bonheur entache de soupçon les moindres paroles et la rancoeur se déplie comme de funèbres oraisons. Aussi les accalmies sont-elles les bienvenues quand sont retrouvés les gestes simples : faire chauffer de l'eau et verser dedans  un sachet de thé, mettre davantage de sel dans la salade et les baisers, ou, encore, écouter le doux ronron du lave-vaisselle. Comme une vague marée.

J'ai pris un grand plaisir à traduire les poèmes qui suivent en français. J'ignorais que Miguel Ángel Real, parfaitement bilingue, avait traduit son livre. Je lui ai bien entendu soumis mon travail et j'ai pu confronter nos deux versions. Il faudrait plusieurs articles comme celui-ci pour en explorer les variations. Que disent-elles des représentations de l'auteur et du traducteur ? Comment savoir, dans le labyrinthe de la synonymie, si l'on s'approche plutôt de soi que de l'auteur ? C'est peut-être là, dans ce trou sans bords où conscient et inconscient se débattent, que le traducteur devient lui-même écrivain. D'aucuns le disent. Je n'en sais rien.

 

Les jours sont l'antre des soleils mouillés

un palais moisi

que je reconnais à peine.

Il n'y a d'autre musique

que celle des lichens.

On n'entend que le bruit des serpents

auxquels tu as donné à manger.

Mes bras pèsent le poids des plumes

des oiseaux morts

pendant le dernier orage.

Autant de joutes que d'échecs.

Autant de nuits que d'insomnies.

 

L'attente s'est changée en une vague marée de vinaigre.

*

Une colonne de fourmis a dévoré les étoiles.

Et tout ça pour découvrir un jour, sur d'autres rivages,

que la mer a toujours le goût des maladresses,

sans cesse un goût d'envie de revenir à côté de ta mère ;

c'est que le sel marin est comme le temps :

pour autant que tu le veuilles

il ne cicatrise pas les blessures.

*

S'enfoncer dans le bois,

choisir le chemin le plus long

pendant que tu écoutes la mer

                                à mille kilomètres.

Imaginer la déception qui tisse les vagues

et la nostalgie de l'argile et des chênes.

Va-et-vient dont ta vie ne se lamente pas :

tu t'acceptes dans l'attente

et n'as d'autre secours

que l'ignorance du présent.

*

Sur la tombe 

chaque lettre de faux argent forme

un mot,

un tourbillon de plâtre dans les poumons :

je ne comprends pas ton nom

et mon sang se caille

en cristaux absurdes.

 

Des lombrics palpitent dans mes jambes

car je perds le fil que me tendent

les yeux qui cherchent à me consoler.

 

Il y a des moments où la solitude

a le privilège du fouet.

*

L'eau n'est pas froide.

J'avance et il n'y a pas de destination :

seulement du réconfort. 

Le temps lui-même se vénère

dans les traces qu'il dépose

sous les paupières

pendant que les vagues viennent

en leur parfaite mesure

remplir ma gorge avec leur poids

d'amandes pourries et leurs lèvres

me souhaitent un sommeil heureux

pour retrouver

la carte des fonds marins.

*

Vers le couchant

la lumière du soir

voile la côte.

Mes yeux souffrent comme des dés ronds

dépourvus d'arêtes et de hasard.

Les larmes atteignent le sable

et noient le puits des désirs

pendant que les deux dernières vagues

-couvertures de poussière-

creusent ma soif et crachent des algues.

Como dados redondos a été publié au Mexique en 2018 par les éditions Cisnegro.

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