samedi 2 décembre 2023

Sacha Thomas, Eaux et Carêmes


 "Le ciel est pris d'un spasme incoercible, remué comme le ventre d'une parturiente à quelques heures de la délivrance."

Dans le maelström des siècles et des siècles, les mythes comme l'histoire maniant à tout-va la grande Hache, le "nouvel amour" de Rimbaud risque le naufrage. Le ciel est bien malade quand la parturiente accouche de chimères. Dès le premier poème, Noce, les promesses d'éternité ont du plomb dans les corps et les langues. Le liquide amniotique des profondeurs sous-marines ont des pestilences mazoutées. Et c'est à travers les âges un défilé d'épouvantes : chevaux décapités, visages perclus de verrues sous un déluge ferrugineux, nuages aux yeux troués, vomissures de soleil et de lunes, essences partout corrompues, gorges et doigts coupés, ruines, ruines...

Quelle issue alors à la débâcle ? "Utiliser un monde effondré pour en découvrir un autre" ? Avec quel dessein et sous quels auspices ? Hier commence demain matin et demain a commencé  il y a des millénaires, écrit Faulkner. La sage-femme de Ninive (aujourd'hui Mossoul en Irak) en a la prescience. Le "grand spectacle des Origines" et celui des Apocalypses se fondent dans le même "gouffre circulaire". Un enfant "coincé dans le bassin de sa mère" tarde à naître sous les bombes. Comment savoir de quoi il est vraiment captif ? Incarnera-t-il la lumière annoncée ? C'est là question de croyance en quelque absolu. Celui qui, peut-être, retient le glaive du tortionnaire au moment de commettre son forfait. Celui d'une certaine Jeanne aussi, qui [montre comment l'Ether s'ouvre parfois aux esprits conquérants]. "Pas de tutelle à notre siècle. Seulement les ors de la délivrance et les lumières de l'esprit", écrit Sacha Thomas dans son poème Adagio. La sage-femme est portée par ce credo désirant. Qu'importe le danger de la mitraille ! D'autres enfants prisonniers de ventres tumultueux attendent. Il faut les libérer. "Pour que chante de nouveau notre couche".

Extraits :

Un banc,

Près de Panthéon.

Mes yeux ne trouvèrent qu'un banc 

Où aligner mes os et étendre ma chair.

Planche sommaire où me coucher et attendre les événements les plus fous.

Que la nue s'écroule.

Qu'un nuage louche. Que ses yeux troués comprennent et aspirent

la détresse flambant dans les miens.

Une tornade pouvait étreindre Paris,

Ses tourbillons soulever mon corps

Et le propulser jusqu'au tien.

Ton corps plutôt que celui d'une autre à qui je n'eusse

rien su dire ni montrer.

Aucune manifestation céleste n'eut lieu. Rien ne se passa. Rien d'autre que l'attente et le clignotement, animal, de mes yeux.

*

L'enfant ne vient pas. L'homme au fusil s'impatiente, il tremble. Le canon de son fusil aussi.

L'agnodice* jette le drap et soulève le corps de la parturiente.

Les vies filantes de la mère et du petit

Atterrissent

Sur la table où l'on boit et mange entre deux rafales.

 

Dans notre actuel contexte de guerre avec ses barbaries, Eaux et Carêmes de Sacha Thomas ne laisse pas indifférent. Et le lecteur, même résolument athée, voudrait se mettre à croire que l'espoir peut refleurir.

Eaux et Carêmes de Sacha Thomas est publié aux éditions du cygne dans la collection "Voix au poème" dirigée par Arnaud Le Vac. L'illustration de couverture est de l'auteure. Le livre coûte 10 €.

 

agnodice : première femme médecin et gynécologue dans la Grèce antique. Son existence semble relever de la légende.

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